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GABRIELLA
Août 2022

Je serre les dents à m'en briser l'émail et me retiens de lui balancer une violente gifle à travers la table qui nous sépare. Heureusement pour lui, nous sommes dans un commissariat et j'ai trop gros à perdre si je lui casse la gueule malgré la satisfaction que cela me procurerait. Le jeu n'en vaut pas toujours la chandelle.

« La robe te sied à merveille, Gabriella ».

Je crois rêver. Je manque de vomir, fondre en larmes, le frapper, l'insulter ou l'étrangler à chaque minute depuis que j'ai franchi le seuil de la salle d'audition. Et tout ce qu'il trouve à me dire ce sont ces quelques mots vides de sens qui soulignent simplement sa nonchalance et son je-m'en-foutisme.

Ma réaction presque épidermique au son de sa voix m'agace encore plus que les mots qu'il a prononcés. Réaliser que j'ai frémi lorsqu'il a articulé mon prénom en faisant rouler le R avec son accent italien à tomber me fout les nerfs en pelote.

Gabrrriella.

Après quatre années à espérer son retour comme une idiote, je m'attendais à tout, sauf à ça. Le retrouver dans une salle sombre du commissariat était bien la dernière option que j'avais envisagée et pourtant, j'en avais imaginé des bien plus farfelues.

Je risque finalement un regard vers lui, que j'ose être plein de fureur, même si j'ai du mal à l'imaginer tant je l'ai chéri. Mon souffle que je tentais de maîtriser jusqu'alors se saccade à mesure que mon cœur s'emballe. J'ai la tête en vrac et les sens en ébullition.

Tout me semble décousu. Il est des moments qui se figent dans le temps, où la terre s'arrête de tourner pour certaines personnes alors que le monde continue son cheminement pour d'autres. Il est des instants suspendus dans les airs où certains continuent d'être heureux, alors que s'ils étaient plus attentifs, ils entendraient les craquellements des cœurs brisés qui les entourent.

Nate est furieusement beau et ça me retourne l'estomac. Il n'a pas changé et je déteste le constater. Il a peut-être un peu vieilli, quelques rides barrent désormais son front, mais sa prestance naturelle le rend cruellement attrayant et éveille mon désir qui était jusqu'alors bien enfoui.

Je me hais de ressentir quoi que ce soit de positif pour lui après tant d'années, après ce qu'il m'a fait, après toute ma souffrance, et surtout en cet instant, lui dans une cellule de prison et moi dans ma robe d'avocat.

Je suis pathétique !

Même lorsqu'on m'humilie, qu'on me traîne au sol, qu'on me manque de respect, qu'on m'abandonne lâchement, je reste désespérément accrochée comme une moule à son rocher et mon cœur continue de battre la chamade.

Finwick me tend une pile de papiers que je récupère et balance négligemment sur la table. Les feuilles qui s'éparpillent sont semblables aux fragments de mon cœurs qui ont été fracassés sur le sol le jour où Nate s'est évaporé de ma vie. J'essaye de ne rien laisser transparaître si ce n'est mon agacement de me retrouver dans une telle situation, mais je devine que c'est peine perdue dès que je croise le regard de Nate et ses yeux rieurs qui me narguent. Il se joue de cette situation, il teste mes limites et cherche le point de non-retour où je finirais par exploser.

Une étrange sensation d'inconfort me transperce, mais je me débats contre ce malaise qui menace de me faire sombrer à tout instant. Mon seul objectif est de paraître forte face à Finwick et son équipe qui me toisent d'un drôle d'air et de rester hermétique à toute approche de Nate, aussi séduisant soit-il.

Je feuillette quelques papiers sans vraiment m'attarder sur ce qu'ils racontent, j'essaye simplement de retrouver mes esprits pour entrer pleinement dans mon rôle d'avocate et oublier que mon passé vient de m'exploser au visage comme une grenade dégoupillée au mauvais moment.

La MeuteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant