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GABRIELLA
Novembre 2016

Les hivers à New-York sont rudes, mais cette année, le froid frappe encore plus fort, le vent ne faiblit pas et la pluie a laissé place à une neige épaisse, glaçant chacun de mes membres et recouvrant la ville d'un chatoyant manteau blanc.

Tous les matins, je redouble de vigilance pour ne pas glisser sur une plaque de verglas ou me prendre les pieds dans un talus de neige. Mes gants, mon écharpe et mon bonnet de cachemire offerts par ma mère ne parviennent pas à me préserver du froid qui s'infiltre sous chacun de mes vêtements tel à un serpent insidieux voulant croquer ma chair.

Une fois les cours terminés, je quitte NYU à grands pas pour rejoindre Tribeca. Matthew m'a donné rendez-vous dans un nouveau café en vogue où les boissons sont réalisées par des baristas professionnels, garantissant alors l'onctuosité du lait délicieusement mêlée à l'amertume du café, de telle sorte que la boisson soit tout bonnement parfaite.

Je me rue dans l'établissement, gelée par la marche à pied que j'ai effectuée de la fac au café. Matthew est du genre ponctuel, il devrait déjà être là depuis vingt minutes, pourtant, en jetant un œil entre les tables remplies d'étudiants avides de découvrir les spécialités de la maison, je ne le trouve pas.

Le brouhaha de l'établissement ne me permet pas de passer un appel pour le joindre. Un peu réchauffée, j'extirpe une cigarette de mon paquet et sors du bar pour téléphoner. Une fois dans la zone fumeur, j'inhale une longue bouffée de nicotine et m'installe sous un chauffage d'extérieur pour ne pas perdre la chaleur gagnée dans le bar. Les longues sonneries d'appel me plongent dans mes pensées, si bien que je ne remarque même pas que quelqu'un m'a rejoint sous les chauffages et que cette personne n'est pas Matthew. Le répondeur de mon ami retentit dans mes oreilles et je raccroche rageusement, non sans lui affubler une insulte bien sentie.

J'entends à ma droite quelqu'un pouffer entre deux bouffées de cigarettes. Je lève un sourcil et toise mon voisin de bas en haut. Il a l'air d'avoir à peu près mon âge, et ses grands yeux bleus juvéniles me laissent penser qu'il ne doit avoir que peu de tracas dans sa vie. Son sourire dévoile ses dents blanches et alignées qui me narguent éhontément et ne se gêne pas pour se moquer de moi.

– Vous les filles, vous êtes toujours en train de râler pour rien, lâche mon interlocuteur.

– Vous les garçons, vous êtes toujours en train de donner votre avis sur des choses qui ne vous concernent pas !

– Tu attends un date ?

– En quoi ça te concerne ?

– La réponse peut être déterminante pour notre avenir.

– Notre avenir ? je réplique, haussant un sourcil interrogateur. Tu es bien sûr de toi !

Son sourire s'amplifie, consumant un peu plus sa cigarette à mesure que notre conversation progresse. Il n'est pas très couvert malgré l'air glacial extérieur qui prend aux tripes, mais il n'a pas l'air d'avoir froid. Sa veste en cuir noire et son jean brut ne le protègent pas du vent. Il porte une écharpe noire également qui semble être en cachemire si j'en crois la noblesse apparente du tissu, et un pull en maille écru qui n'a pas l'air bien épais, pourtant, son corps ne tremble pas d'un iota. Il demeure droit, de marbre. Fort et rigide. Fier et confiant.

– Je suis Nathanaël Delfino, m'indique-t-il, ignorant ma question. On se verra mercredi prochain, à l'université, pendant l'heure de travaux dirigés de droit civil. On partage la même classe et si tu ne m'avais pas remarqué, moi oui. Je t'ai remarquée, Gabriella.

Un petit accent italien le rend terriblement craquant.

Plus encore. Terriblement sexy.

La façon dont il prononce mon prénom est un appel à la dépravation et je dois réprimer un frisson qui cette fois-ci, n'est pas dû au froid.

Il jette son mégot dans un cendrier et m'adresse un dernier regard avant de me tourner le dos avec un sourire en coin qui réveille des sensations dans mon bas-ventre. Estomaquée par notre échange, je reste figée et pantoise et le laisse s'effacer au détour de la rue comme s'il n'avait été qu'un mirage.

En provenance de cette même rue, je reconnais Matthew et sa démarche atypique. Vêtu d'un ciré jaune comme les Français alors qu'il ne pleut même pas, je ne relève pas cette faute de goût absolue, encore bien trop obnubilée par ma précédente conversation.

Il doit claquer à trois reprises des doigts devant mon visage pour que je daigne finalement me tourner vers lui et le saluer. Ma cigarette s'est intégralement consumée sans même que je n'y touche, trop plongée dans mes pensées et hypnotisée par cette rencontre impromptue.

– Tout va bien Gabi ? me demande Matthew avec inquiétude. On dirait que t'as vu la vierge ma poule.

– Pas la vierge, réponds-je distraitement, mais bien un putain de dieu.

Voilà comment Nate est entré dans ma vie. D'une manière totalement anodine, comme on croise son voisin chez le boulanger du coin, par hasard et sans que cela ne soit réellement important.

Si j'avais su le chaos qu'il créerait autour de moi, j'aurais probablement changé de groupe de travaux dirigés ou je n'aurais jamais accepté ce premier rendez-vous à la bibliothèque pour terminer le devoir de la semaine. J'aurais érigé des barrières bien plus hautes pour me protéger de ses attaques et l'empêcher d'atteindre si facilement mon cœur pour le réduire en cendres, calciné par notre amour qui ne lui aura pas suffi.

La MeuteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant