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NATE
Octobre 2022

Lorsque je pénètre dans l'enceinte du jardin de La Tanière, le parking est bondé de véhicules qui puent le fric à plein nez. Je hausse un sourcil, surpris de constater qu'autant de monde assiste à la réunion qui semblait pourtant improvisée.

Le salon grouille de Louveteaux qui sirotent des verres de whisky, dans l'attente qu'Il Luppo fasse une apparition.

Les discussions cessent soudain, signe qu'il a fait irruption dans la pièce et que son charisme naturel a fait taire ses Louveteaux. Il porte un costume gris clair, assorti à ses cheveux argentés, ainsi qu'une chemise blanche sans aucun pli. Le tissu paraît noble et la chemise est d'un blanc éclatant non sans rappeler la brillance de ses dents impeccables. Soit elle est nouvelle, soit il prend grand soin de ses affaires.

– Merci à tous pour votre présence malgré le caractère soudain de cette réunion dictée par l'urgence.

Je fronce les sourcils, curieux de savoir ce qui a poussé Il Luppo à nous convoquer tous si précipitamment. C'est bien son genre de prévoir des rendez-vous n'importe quand, à n'importe quelle heure et surtout au dernier moment, mais en général cela ne concerne que Paul ou moi. Jamais toute La Meute.

En jetant un œil à la foule qui se tient face à lui, je remarque que personne ne manque à l'appel. Alicia et Paul sont assis dans le canapé, à côté de Louis qui se ronge les ongles. Plusieurs nouvelles recrues se tiennent debout, près de la fenêtre, jetant des regards hagards autour d'eux. Les pauvres, ils ne savent pas où ils sont tomber. Au fond de la pièce les anciens et plus fidèles Louveteaux attendent patiemment que le Loup lâche ce qu'il a à dire.

Ce dernier s'accoude au buffet dont les placards sont remplis de poudre blanche avant de se lancer dans son discours, un peu brouillon au départ.

– Je vais commencer directement pour vous relâcher au plus vite. Il n'y a pas vraiment de bonne manière pour annoncer le pire. L'Epine cherche à nous faire couler. La fille du boss est en train de prendre la succession et c'est une vraie vipère qui plante ses crocs dans tout ce qui est à sa portée. Elle n'hésite pas à graisser la patte du connard de flic et du substitut qui veulent eux aussi nous faire tomber pour qu'ils s'allient contre La Meute. Je ne sais pas comment, mais Nate, elle te suit à la trace. Notre indic nous a filé les infos qui lui sont parvenues et elle connaît tous tes déplacements, elle est dans ton ombre et si tu ne regardes pas derrière toi plus souvent, tu risques de te prendre un couteau dans le dos.

La surprise se lit sur mon visage jusqu'alors impassible. Rien ne m'a laissé penser que j'étais suivi. Je fais très attention et surveille toujours mes arrières, mais mes précautions ne suffisent visiblement plus, puisque l'Épine marche dans mes pas. Immédiatement, mes pensées se tournent vers Gabriella et la culpabilité me gagne. Plus que jamais, elle est en danger, et c'est encore ma faute.

– Il faut la mettre hors d'état de nuire, reprend Il Luppo d'une voix plus forte. À l'approche du procès, il ne faut pas que les charges qui pèsent sur La Meute s'alourdissent. Ils risqueraient de finir par me pincer et ce serait la fin pour nous tous.

Un murmure s'élève parmi les Louveteaux qui se demandent activement qui peut bien être cette femme. Je me tourne vers Paul à ma droite, qui fronce ses sourcils si fort qu'une ride barre son front.

La réunion prend fin sur des ultimes préconisations de vigilance de la part d'Il Luppo, suivies de ses remerciements et très vite, la foule se dissipe. Chacun regagne l'extérieur pour quitter La Tanière et je m'apprête à en faire de même lorsqu'Il Luppo m'intercepte.

– Nate, j'ai un mot à te dire.

Je me tourne vers le cinquantenaire conservé à la perfection. Un air énigmatique est prostré sur son visage.

– Gabriella est en danger, plus que jamais. À toi de faire en sorte que notre avocate soit préservée de toute cette merdre, où nous en pâtirons tous.

L'inquiétude du Loup finit par se lire sur ses traits d'ordinaire si durs et impénétrables. J'acquiesce en silence et Il Luppo signe la fin de notre entretien en me souhaitant une bonne soirée d'une voix évasive.

L'air est glacial en cette nuit d'octobre et lorsque je m'engouffre dans l'habitacle de mon véhicule, j'enclenche le chauffage à fond dans l'espoir de retrouver un brin de chaleur et de réanimer mon cerveau en vrac après cette réunion présageant le pire.

Je sais pertinemment que Gabriella est en danger. Et notre récent rapprochement n'arrange en rien la situation. Mais je ne peux pas me résoudre à partir à nouveau. Je ne peux pas la laisser encore une fois.

Pas cette fois.

Elle ne me pardonnerait jamais et ne voudrait plus jamais de moi, alors que son cœur et le mien sont faits pour être réunis. Son corps et le mien se moulent parfaitement. Elle est le chaud et moi le froid, je suis l'est et elle est l'ouest. Lorsque nous sommes ensemble, tout est enfin à sa place et les étoiles brillent si forts que le commun des mortels en est ébloui. Pour toutes ces raisons, nous dissocier est désormais impossible. Pour ces raisons, je dois la protéger encore plus.

Le trajet passe en un éclair et lorsque je me gare en bas de l'immeuble, je suis surpris de voir les lumières de mon appartement éteintes.

Gabriella craint le noir. Elle laisse toujours une source de lumière dans l'appartement, même lorsqu'elle dort. Surtout lorsqu'elle est seule.

Je déverrouille la porte fermée à double tour et tente de rester discret pour discerner tout bruit anormal, mais je n'entends rien. Après quelques minutes, je réalise qu'il n'y a plus personne et que cet appartement est anormalement vide.

– Gabriella ?

Seul le silence me répond, faisant écho sur les murs de la pièce trop vide.

Je progresse dans le salon, puis la cuisine, une main posée sur l'arme que je garde dans la doublure de mon manteau. Avec prudence, j'allume les interrupteurs et la lumière se diffuse sur mon chemin, éclairant peu à peu chaque surface pour constater le vide. Je poursuis ma fouille jusqu'à la dernière pièce, mais aucune trace de Gabriella.

Ses affaires ne sont plus là. Ce qui m'interpelle en premier lieu, c'est sa brosse à dents qui a été retirée du pot où elle trône habituellement à côté de la mienne, dans la salle de bain. Puis l'intégralité de ses produits de beauté qui n'envahissent plus les étagères. Dans ma chambre, ses sous-vêtements ont disparu, tout comme ses habits et même ce bouquin qu'elle posesur le chevet le soir avant de s'endormir.

Le vide causé par l'absence de ses affaires reflète parfaitement le vide que son absence cause dans mon cœur.

Mes pensées fusent dans tous les sens et j'écarte d'ores et déjà la possibilité qu'elle se soit faite enlevée. Ses ravisseurs n'auraient pas pris la peine d'empaqueter soigneusement ses affaires, sans même oublier sa brosse à dents.

Gabriella est forcément partie d'elle-même. Elle a bouclé ses affaires et est partie d'elle-même, laissant derrière elle les bons souvenirs et l'amour.

Notre discussion n'a pas permis d'arranger les choses, au contraire.

Les regrets m'assaillent. Je m'assois sur la méridienne du canapé, les coudes posés sur mes genoux et la tête dans mes mains, dépité.

Je me repasse en boucle notre discussion pour déceler ce que j'aurais pu mieux faire. Ce que j'aurais dû mieux faire.

Mais rien ne me vient. Il n'y a rien que j'aurais pu faire différemment et Gabriella n'arrive juste pas à passer au-delà de ce qu'elle considère être une trahison.

Cette fois-ci, c'est elle qui me quitte. À ce moment-là, je ressens exactement la peine qui l'a transpercée lorsque j'ai pris la décision de disparaître, choisissant pour nous deux un avenir séparé mais sécurisé, plutôt qu'une vie à deux dans la peur.

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