PROLOGUE

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GABRIELLA

Août 2018, New-York

Le soleil qui inonde ma chambre d'une lumière éclatante me tire d'un profond sommeil réparateur. Mon réveil ne sonne que dans une heure, pourtant je me sens en forme. Les yeux encore clos, je m'étire bruyamment en déroulant l'intégralité de mon corps.

Dans trois jours, je tenterai ma chance au concours du Barreau de New-York. Après des années de travail acharné, lundi signera le début d'une nouvelle vie conditionnée par la réussite de ce concours.

J'enfonce ma tête dans l'oreiller aux senteurs d'hibiscus et tâtonne la place à côté de moi pour chercher Nate du bout des doigts. Mais les draps sont froids, signe qu'il a dû quitter le lit il y a bien longtemps. Alors que j'entrouvre un œil, je ne peux que constater son absence.

Habituellement, Nate n'est pas du matin. Il préfère traîner au lit jusqu'à ce que le réveil sonne et se plaît à le repousser encore et encore, frôlant parfois le retard. J'en conclus que la lumière du matin l'a dérangé et qu'il n'a pas réussi à se rendormir.

D'un bond, je me lève du lit, si vite que j'en ai des vertiges. Les murs blancs ondulent autour de moi, mon reflet dans le miroir me semble flou et je peine à reprendre mes esprits. Je suis vraiment fatiguée, épuisée après ces mois intenses de révision, mais ce n'est pas le moment de flancher. Il ne me reste que quelques derniers efforts à fournir avant de pouvoir relâcher la pression et Nate étant déjà avocat, il a promis de m'aider à réviser aujourd'hui.

Une fois moins étourdie, je me lève et m'étire à nouveau, laissant échapper quelques gémissements d'aise. Je me dirige vers la salle de bain et, débarrassée de mon pyjama, j'allume le mitigeur et règle la température de l'eau. Le liquide qui glisse sur ma peau me fait frissonner et me donne l'impression d'être désormais vraiment réveillée.

Tout en me savonnant généreusement, je dresse mentalement un planning de la journée à venir. Prévoir les choses me rassure et ainsi je redouble d'efficacité. La satisfaction de cocher les tâches de ma liste au fur et à mesure me motive et me pousse à accomplir l'intégralité des missions que je me fixe.

Propre comme un sou neuf, j'attrape un paquet de brioche qui traîne dans le placard et m'en coupe une tranche pour accompagner mon café au lait d'avoine avec une double dose d'espresso.

Je vais en avoir bien besoin aujourd'hui.

Mon régime alimentaire n'est pas terrible à l'approche du concours, bien que Nate essaye de me nourrir du mieux qu'il peut lorsqu'il ne rentre pas trop tard. Si Nate n'est pas là, j'ingère tout ce qui est comestible dans le placard, sans temps de cuisson préalable. Je n'ai pas de temps à perdre à cuisiner, encore moins en ce moment. De toute manière, je ne suis clairement pas un cordon bleu.

Une fois mon petit-déjeuner englouti, j'emporte mon café et rejoins le toit-terrasse de mon immeuble pour fumer une cigarette avant de me mettre au travail.

La fin de l'été est proche et cela se ressent dans l'air. La chaleur new-yorkaise décline peu à peu, laissant les gilets molletonnés ressortir des penderies pour remplacer les débardeurs échancrés. Les touristes affluent un peu moins dans les rues, les hommes en costume et les femmes en tailleur sont rentrés des Hamptons et ont retrouvé le bitume grisonnant de la Grosse Pomme qui obscurcit leur teint hâlé.

Lorsque je regagne mon appartement pour me mettre au travail, je réalise alors que Nate ne s'est toujours pas montré. Je ne l'ai pas croisé ce matin, ce qui est étonnant car notre appartement possède de belles surfaces, mais nous ne vivons pas non plus dans un palace et il n'est pas possible de s'éviter indéfiniment.

J'ouvre alors quelques portes pour trouver Nate tout en appelant son prénom, mais seul le silence me répond. Il n'y a personne dans la salle de bain, les toilettes sont libres, je sors de la cuisine, et je reviens tout juste du toit.

Je tente de me raisonner en me disant qu'il a dû sortir pour prendre un petit-déjeuner en ville ou faire un footing à Central Park. Nate est un féru de jogging et il prend son pied en allongeant ses foulées dans les rues de New-York.

Cela me dépasse complètement tant je hais le sport. Suer et m'essouffler à un rythme effréné ne me procure aucun plaisir, sauf quand tout cela se fait à l'horizontal.

Une heure plus tard, Nate n'est pas encore rentré. J'ai tenté d'appeler son téléphone, mais en vain, puis j'ai fini par trouver l'appareil sur le buffet, dans l'entrée. Contrairement à moi, Nate n'est pas accro à son smartphone, et il peut parfois lui arriver de sortir sans.

Deux heures plus tard, Nate n'est toujours pas là. L'inquiétude que je tentais d'éloigner gagne du terrain peu à peu et commence à me submerger, donnant à mon cœur des sursauts anxieux.

Quatre heures plus tard, toujours pas de Nate. J'ai appelé l'intégralité de nos amis, et les collaborateurs de son cabinet d'avocats, sans que personne ne puisse m'aider. Personne ne l'a vu, ni n'a eu de nouvelles de sa part ces douze dernières heures. Je n'ai plus trop les idées claires et je commence à perdre pied, noyée dans un océan de craintes.

Huit heures plus tard, Nate n'est toujours pas à la maison. La panique qui s'infiltrait en moi a pris le dessus sur une quelconque rationalité. J'ai fouillé son téléphone, mais rien ne m'a paru suspect. Nate a la fâcheuse tendance de supprimer régulièrement ses appels et messages et son dernier texto de la part de l'un de ses collaborateurs date de la veille. J'ai également appelé la police, mais puisque mon petit ami est un adulte, ils ne diffuseront pas d'avis de recherche pour le moment.

"Calmez-vous mademoiselle. Il n'y a rien d'alarmant à ce que quelqu'un soit absent pendant huit heures. La situation est tout à fait banale. Peut-être qu'il n'a pas osé vous larguer convenablement".

Le rire de mon interlocuteur m'a foutu la nausée.

Je sens au fond de moi que rien n'est normal.

Et mon instinct me trompe rarement.

Dix heures plus tard, Nate est encore aux abonnés absents. J'ai fait quatre fois le tour du quartier à sa recherche, mais il n'est nulle part. J'ai même été jusqu'à Central Park pour effectuer à pied le chemin qu'il fait habituellement en courant, en vérifiant dans les buissons qui longent la piste s'il n'est pas tombé dans les pommes.

Le soleil commencera à se coucher d'ici quelques heures, sans que Nate ne soit rentré à la maison. Un pressentiment négatif m'habite, comme une menace qui pèse lourdement au-dessus de ma tête, un présage de mauvais augure qui plane sur ma vie et risque de la bouleverser. Je ne sais pas encore de quoi j'ai peur, mais l'angoisse s'est insinuée par chaque pore de ma peau pour gagner progressivement ma tête et annihiler tout sens commun. Réfléchir convenablement ne m'est plus possible, tout se mélange et s'emmêle dans mon cerveau.

Douze heures plus tard, Nate n'est toujours pas réapparu. Le ciel s'est assombri, un croissant de lune pointe timidement entre les buildings new-yorkais sans que mon amour n'ait regagné la maison. Assoiffée, je m'approche du réfrigérateur pour me servir un verre d'eau quand un papier aimanté sur la porte attire mon attention. C'est un bout de calepin déchiré auquel je n'ai porté aucune attention jusqu'à présent, alors que j'aurais dû.

Bordel, j'aurais dû.

Je saisis le mot, faisant tomber au sol l'aimant qui le retenait. Un magnet ramené de Tahiti par mes parents se brise en une dizaine de morceaux qui se répandent sur le carrelage froid de la cuisine.

Ces morceaux sont infimes en comparaison de ceux de mon cœur.

Mon cœur, lui, se brise en millions de morceaux.

En milliards de fragments répandus sur le sol de cette pièce qui m'oppresse. C'est comme si les murs se refermaient sur moi à mesure que ma lecture progresse.

Mes mains tremblent et mon pouls s'accélère lorsque je lis le contenu du papier. Un paragraphe tracé en italique au stylo noir décrit mon cauchemar et le début de ma descente aux enfers : « Je m'en vais. Ne me cherche pas. Je ne veux pas être trouvé. Je suis désolé. Adieu, amore mio ».

Douze heures et trois minutes plus tard, Nate n'est nulle part et ne sera plus jamais là.

Quant à moi, j'assimile difficilement qu'il est parti, qu'il s'est enfui et qu'il ne reviendra pas.

LA MEUTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant