Vies brisées (2)

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Une délicieuse odeur de pain perdu embaume l'air ambiant de la pièce principale. Le bout de pain rassis que j'ai retrouvé dans le sac à baguette n'était nullement moisi, mais il était si dur qu'on pouvait soit assommer quelqu'un avec, ou alors se péter toutes les dents en voulant croquer dedans. J'ai alors fouillé dans mon réfrigérateur pour mettre la main sur des œufs et du lait, et avec le sucre en poudre qui se trouvait dans mon placard, j'ai pu tout naturellement commencer la préparation.

La poêle chaude, les différentes miches déjà bien découpées et imbibées de préparation, je les fais griller tout en sifflotant la chanson de mon grand-père. Les exquis effluves parviennent à mes narines, et me font saliver d'envie. J'ai si faim que je pourrais manger tout de suite ce maudit pain encore bien dur alors que ce n'est pas du tout prêt !

— Hmm ! retentit la voix d'Emilie dans mon dos, ça sent drôlement bon par ici ! Qu'est-ce que tu nous fais de bon ?

Je me tourne légèrement vers elle, la spatule en main, et remarque qu'elle a remis la tenue de la veille depuis que je l'ai quittée dans la salle d'eau.

— J'espère que tu aimes le vieux pain tout dur, parce que je fais du recyclage de nourriture.

Emilie me regarde comme si je voulais subitement l'empoisonner. La tête qu'elle tire me fait ricaner, mais je me rattrape assez vite :

— Mais non, ne t'inquiète pas, Em, ce n'est pas périmé, j'ai vérifié. J'ai juste sorti le pain rassis qu'on n'a pas fini avec les mecs avant de partir à Paris, et comme il n'y avait plus rien à se mettre sous la dent, je me suis dit qu'au lieu de faire un tour à la boulangerie, je pouvais faire du pain perdu. Après tout, c'est à ça que sert cette recette !

Je lui souris pour la rassurer, elle me répond en laissant tomber sa mine stupéfaite.

— Je n'ai jamais mangé de pain perdu, m'avoue-t-elle en haussant les épaules. Faut dire qu'on ne laissait jamais le pain se durcir, tellement on adorait ça, Jerem et moi.

— C'est dommage, t'as loupé quelque chose dans ton enfance ! Isa m'en faisait souvent le week-end, c'était hyper bon !

A l'aide de ma spatule, je tourne les bouts de flûte pendant qu'Emilie me rejoint pour jauger le petit-déjeuner en réajustant ses lunettes, suspicieuse. Elle ne semble pas convaincue par mes mots, mais je sens qu'elle le sera dès qu'elle en dévorera un morceau. Je lui désigne la cafetière d'un geste de la main et lui demande de préparer le café, et elle s'exécute aussitôt. Une fois fait, elle décide de dresser la table en installant deux tasses, de la confiture, un pot de nutella pratiquement vide ainsi que plusieurs couverts.

— Ça a été à Paris, au fait ? m'interroge-t-elle soudainement.

Je pivote le cou vers elle et découvre qu'elle s'est assise dans l'une des chaises hautes.

— Oui, pourquoi ? Tu n'as pas entendu comment les mecs étaient déchaînés, hier soir ?

Je souris en songeant à eux. Ils étaient bien contents d'être revenus à Lille, mais surtout d'avoir retrouvé leur moitié. Et je peux difficilement désapprouver puisque j'étais moi-même bien heureux de pouvoir rentrer à la maison et de serrer celle que j'aime dans mes bras. C'était tout ce dont j'avais besoin.

— Oui, je sais, mais toi, tu n'as pas dit grand-chose dans le bar, à part pour souffler quelques mots aux garçons. Tu n'as pas tellement exposé ton point de vue contrairement à eux.

Surpris qu'elle ait remarqué ce détail malgré l'ambiance festive de la veille et de l'alcool qui a coulé à flot, je me détourne rapidement d'elle pour tourbillonner de nouveau les morceaux de baguette désormais bien cuits. Je soupire.

NOUS Envers et contre toutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant