Marche solitaire (2)

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Média : Orelsan - Si Seul.

Mardi 10 Juillet 2018

Les yeux perdus dans le vague, je fixe avec peine la stèle où repose mon grand-père. Le jour s'est levé depuis deux bonnes heures, seulement je n'ai pas fermé l'œil de la nuit, attendant le moment propice pour me recueillir auprès de sa tombe. La pierre a craqué au niveau de son nom et même au milieu des fleurs qui ont pourri, mais il n'en ternit pas moins l'affection que je lui ai continuellement porté.

La mort me l'a peut-être arraché, mais les souvenirs restent et seront toujours les plus heureux.

Le regard émerveillé, je regarde l'araignée qui a créé sa toile près de la cabane en bois. Elle est belle, toute petite et presque fascinante ! Ses huit pattes noires sont aussi velues que son abdomen, mais ce qui me coupe le souffle est cette capacité à fabriquer son piège d'une précision symétrique, tout ça grâce à la soie qui se situe dans son arrière-train. Isabelle, la copine de mon grand-père, en a peur ; elle dit qu'elle est arachnophobe et que ces bêtes sont des monstres. Mais elle a tort, ces créatures sont des merveilles et selon les livres que pépé m'a offert : elles équilibrent la nature en se nourrissant des insectes qui peuvent nous embêter et éviter que ces dernières deviennent trop nombreuses.

Tout a un rôle précis dans la vie. Et je me demande si la mienne est aussi importante que celle de cette araignée.

Des pas me font sursauter, je me tourne vers mon grand-père qui a un grand sourire, comme souvent quand il me voit. Il m'attrape pour me chatouiller sous les bras, je me débats comme je peux, mais je n'arrive pas à retenir mon rire joyeux.

Alors, mon petit Marin, c'était donc là que tu te cachais ?

Il arrête ses chatouilles et me décoiffe le haut de mon crâne. Je lui pointe alors la toile d'araignée :

Regarde ce que j'ai trouvé ! Si Isa voit ça, elle va se faire pipi dessus !

Les yeux bleus de pépé se mettent à briller de malice.

Il n'y a aucun doute là-dessus, il ne vaut mieux pas qu'elle se trouve nez à nez avec cette bestiole.

Je lui ai donné un nom ! me confié-je spontanément.

C'est vrai ?

Oui ! Je l'ai appelée Isy !!

Je lui souris de toutes mes dents alors qu'il éclate de rire. Je suis sûr qu'il a compris pourquoi je l'ai surnommée ainsi.

Ça ressemble beaucoup au prénom d'Isabelle.

Justement ! C'est fait exprès, c'est pour l'embêter !

Il m'ébouriffe une nouvelle fois les cheveux d'une humeur taquine, puis je pousse un petit cri de surprise au moment où il me saisit par la taille pour m'emmener jusqu'à sa maison.

Prends garde, moussaillon, à tribord un méchant bateau de pirate va droit sur nous !

Mon éclat reprend de plus belle alors qu'il court tout en me ramenant dans ses bras, faisant semblant d'échapper aux pirates qui veulent nous attaquer.

Une larme solitaire se met à couler le long de ma joue, je la chasse d'un revers de la main et sors une bière de mon sac avant de m'assoir près de sa sépulture. Je l'ouvre avec mon briquet et tends la bouteille vers sa stèle où seul son portrait dessiné en quelques coups de crayon me regarde :

NOUS Envers et contre toutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant