NOUS Envers et contre tout

Tako-Tsubo (2)

Mercredi 24 Avril 2019

Trois jours ont circulé depuis son terrible accident. Trois misérables journées durant lesquelles j'ai oscillé entre l'ombre et la lumière. Inconscience et réalité. Douleur et culpabilité. Le temps ne m'a jamais paru aussi long, alors même que je n'ai pratiquement que dormi durant ces soixante-douze heures. Quelquefois dans le brouillard, de temps à autre bien éveillé, j'ai observé ce petit monde me rendre visite, sans pour autant leur sourire.

J'étais loin, si loin de leur monde à eux. Je suis devenu le spectateur de ma propre vie, écoutant les mots de mes plus proches amis, comme des recommandations du personnel médical. Cependant, je ne les ai pas entendus comme ils l'auraient voulu.

Cruellement enfoncé dans le noir, plus rien ne me fait envie. Les visites ne me font pas sauter de joie, puisque je ne perçois que leur pitié dans leur regard. Les bonnes nouvelles sur mon bilan de santé ne m'ont pas un seul instant procuré du soulagement, tout simplement parce que je n'ai plus le goût de vivre. Même apprendre que les différentes opérations d'Emilie ont été un réel succès ne me font rien. Parce que je sais qu'elle ne s'est toujours pas réveillée. Et que tout est ma faute.

Mon implication dans sa chute me retourne sans cesse l'estomac. Je souffre de la savoir aussi faible, et particulièrement dans le coma.

Je n'arrive plus à manger. Je ne parviens plus à rire. J'ai perdu ma raison de vivre.

Finira-t-elle par se réveiller un beau jour ?

Je l'espère sincèrement. Mais je sais qu'à son réveil, elle refusera de me voir. Et moi, je ne pourrais plus la regarder en face tellement je m'en sens responsable. Elle me manque terriblement, mais pour elle et pour son bien, il vaut mieux qu'on arrête tous les deux. Parce que le problème, c'est moi. Ça toujours été moi. Je lui ai fait tellement de mal alors que je l'aime de toutes mes forces.

C'est pourquoi que je m'interroge chaque jour la raison pour laquelle je continue. Plus rien ne me retient dans cet univers empli de souffrance, d'amertume et de culpabilité. Je n'ose plus voir mon reflet dans une glace. Je ne me supporte plus. Ma vie est devenue mon terrible fardeau, un énorme fossé d'erreurs et de mensonges. Et lorsque je me rappelle ses mots quelques minutes avant son accident, je ne peux pas m'empêcher de songer qu'elle avait tort.

Non, mon amour. Je ne suis pas une personne formidable.

Je me demande comment elle a pu penser une chose pareille, après ce que je lui ai fait. Je l'ai totalement détruite avec mes conneries, et ce depuis le début. A partir de ce jour où elle m'a entièrement obsédée, je n'ai qu'été qu'un être jaloux et possessif alors qu'elle ne m'a jamais appartenu. Je n'aurais jamais dû autant mentir à moi-même. J'aurais dû lui dire depuis le départ que j'étais complètement accro à elle. Et probablement qu'on n'en serait pas là, elle et moi. Dans le coma et le cœur brisé. Notre histoire a pris une tournure si dramatique qu'elle ne connaitra en aucun cas une merveilleuse fin.

Elle avait pourtant si bien commencé...

Je pose mon plateau sur une table vide, puis explore du regard le réfectoire où tout un tas d'élèves discutent entre eux. Un énorme brouhaha circule dans l'environnement, accompagné des bruits de chaises grinçants sur le sol et des nombreux couverts qui s'actionnent. J'essaie de repérer mon meilleur pote parmi tout ce monde, mais comme je ne le perçois nulle part, je sors mon téléphone et lui envoie un message pour lui indiquer ma position. Mais je ne suis pas certain qu'il puisse me localiser, étant donné qu'il s'agit de notre premier jour au lycée.

Je finis par l'apercevoir au bout de plusieurs minutes d'attente. Je me redresse pour lui faire des grands gestes et ce dernier me répond après m'avoir repéré. Un grand sourire barre mon visage, mais lorsque je remarque qu'une fille le suit, je le perds aussitôt et lève un sourcil. Qui c'est ? Je ne la connais pas et j'ai beau fouiller dans ma mémoire, je ne pense pas que Raffael non plus. Ils s'approchent de plus en plus, jusqu'à ce que je puisse détailler son visage avec curiosité.