La rage de vivre (3)

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Mes yeux s'accrochent à tout et n'importe quoi pendant que je déambule dans le nouvel appartement d'Alexandre. Je contemple le séjour d'un œil examinateur avant de tourner la tête vers la pièce d'à côté qui me semble être une cuisine. Je les entends discuter par ici, mais je me détourne rapidement pour continuer mon inspection.

Des meubles un peu usés, un canapé en cuir légèrement griffé au niveau des accoudoirs, des rideaux pas trop épais. Pas de doute possible, le locataire a fait le tour des brocantes pour aménager son espace à petits prix, ou alors il a jeté son dévolu sur l'application « leboncoin ». Je me dirige vers la porte coulissante à côté du bureau et fais face à une minuscule chambre, juste ce qu'il faut pour mettre un lit double et une commode. C'est tout.

Le logement doit mesurer aux alentours des trente mètres carrés. C'est petit, mais suffisant pour qu'une personne y réside. Je me doute qu'avec sa situation, il a dû profiter des aides de l'Etat pour avoir un toit au-dessus de sa tête, le temps qu'un patron veuille bien de lui en tenant compte de son casier judiciaire. Il est clair que l'appartement que je partage avec Ralf et Owen n'a rien à lui envier : il ne peut pas recevoir beaucoup de monde, encore moins organiser des soirées comme autrefois.

Ce temps est définitivement révolu, on dirait.

Je soupire et secoue la tête pour éviter de replonger dans des souvenirs. Je décide de refermer la porte de la chambre et m'asseoir confortablement sur le canapé, ne me gênant pas pour allumer la télé. Si le bruit peut me détendre, alors autant mettre une chaîne de musique. Je zappe jusqu'à ce que je tombe sur un clip de Coldplay, je mets un peu de volume avant de dégainer mon téléphone portable.

Aucune nouvelle. Pas de message. C'est le silence radio complet.

Il est plus de deux heures du matin. Je suis épuisé, mais étrangement ce n'est pas uniquement mon corps qui l'est. C'est toute mon âme. Je ne suis pas encore prêt à entendre la vérité, même si mes doutes m'ont permis d'avancer pendant toutes ces années. Je pense à Raffael qui est sous la surveillance de Chrystal. J'espère qu'ils vont bien et qu'elle a réussi à lui remonter le moral. Je songe à Emilie qui a dû faire partir les flics avec Kelly. Peut-être qu'en ce moment son mec lui exige des explications, ou peut-être qu'il préfère ne pas s'en mêler. Owen doit se demander où nous sommes passés. Perrine m'a vu partir et ne m'a plus jamais vu revenir. Et les personnes qui ont assisté à toute la scène sont sûrement en train de se faire des films.

Une chose est certaine : de toutes les soirées que j'ai pu faire, celle-ci est la plus insolite. Je pensais que j'allais passer un bon moment avec mes amis, finalement je vais la terminer avec un de mes ennemis. L'ironie du sort, c'est que cet ennemi en question était autrefois un ami. Le karma a un excellent sens de l'humour, on dirait.

Il veut surtout me pourrir l'existence.

Je me redresse quand Enzo s'assoit à côté de moi, un verre d'eau à la main. Je secoue la tête lorsqu'il me tend un autre gobelet, la nausée qui me comprime la gorge m'empêche d'avaler quoi que ce soit. Même de la flotte. Mes yeux virevoltent vers Alex qui transporte un tabouret sous le bras, il le pose juste en face de nous avant de poser ses fesses dessus. Puis il laisse son regard voyager dans toute la pièce avant de terminer par moi. Je me fige en détaillant son visage tuméfié, le résultat de ma déchéance et de mon incommensurable frustration. Je suis toujours autant en colère. Contre lui, contre Emilie, mais surtout contre moi.

Pas foutu de sauver les bonnes personnes.

Je ne suis pas foutu de me sauver de cette ambiance mortelle.

Je suis à Calais, dans un autre endroit que celui de mes cauchemars. Mais je me trouve face à un ancien ami que je craignais de revoir. Je ne peux pas oublier les bons moments que j'ai passés à ses côtés. Notre rencontre dans cette fameuse colonie de vacances, nos délires, nos prises de bec, les soirées et lorsqu'on s'accompagnait mutuellement lors de nos sorties nocturnes. Toutefois, je ne peux pas négliger cette scène qui a détruit notre amitié, et qui m'a aussi en quelque sorte ravagé. Ma peur s'est accentuée au même stade que ma propre détermination. Cette rage de vivre, cette envie de me battre coûte que coûte, ce n'est pas par hasard si je les ai acquis après avoir vu mon frère entre la vie et à la mort. Non. Je me suis promis à moi-même de ne plus jamais laisser tomber mes amis. Et d'enfin écouter les derniers mots de mon grand-père.

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