CHAPITRE 3 | Ange

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TW: mention de violence physique, violence psychologique.




« Les larmes sont l'extrême sourire »
STENDHAL





ANGE



         Chacune de mes nuits suit le même rituel depuis bientôt un mois. L'appréhension me gagne alors que mes paupières se ferment progressivement. L'idée de m'endormir, et d'être incapable de contrôler les manifestations de mon subconscient me terrorise. Lorsque Harper apparaît dans mes rêves, il peut s'agir de deux situations. Or je finis toujours en larmes, ce qui me pousse à conserver une boîte de mouchoirs sur ma table de chevet. Les premiers temps, je ressentais le besoin de réveiller mes parents pour leur expliquer mon angoisse. Sentir leur présence à mes côtés, leurs bras autour de moi, leurs mots rassurants.

Mais finalement je m'y suis résolue.

Mes réveils sont ponctués par de violents sursauts qui me tirent à nouveau dans la réalité. La sueur recouvre l'intégralité de mon corps dans de petites perles troubles et mon cœur s'affole. Il bat si fort qu'une douleur sourde se diffuse dans ma poitrine. Puis brutalement, tout s'apaise, tout s'arrête. Et je me laisse retomber sur mon matelas, anesthésiée par le cauchemar éveillé qu'est finalement devenue ma vie.

Fuir les démons tapis dans l'ombre est inutile lorsque le plus dangereux vit sous votre toit.

Seulement dans l'obscurité, rien ne suffit à apaiser le chaos omniprésent qui règne dans ma tête. Alors me voilà ainsi réveillée depuis que le soleil s'est levé hier matin. L'épuisement doit se lire sur mon visage, ce poids qui pèse sur mes épaules. Mes muscles sont raides, engourdis d'être restés en position assise pendant si longtemps. Contrairement à mes habitudes en termes d'insomnie, la musique m'a paru inutile cette nuit.

Comme si son action possédait des limites.

Comme si elle ne parvenait plus à me sauver.

Alors dans une idée, à laquelle je ne croyais pas du tout, j'ai quitté le confort de mon lit pour me diriger vers l'une des armoires du salon. Mes doigts ont fouillé les quelques tiroirs qui comptaient un grand nombre d'albums photo. D'un geste brusque, je les ai repoussés au profit de l'objet responsable de cette fouille improvisée. Ce petit carnet à la couverture rose pâle, cet amas de souvenirs. Les spirales paraissaient légèrement abîmées par le temps mais les pages ont comme survécues à leur jaunissement habituel.

« Mon journal intime »

Ou plutôt celui de la Ange que j'étais il y a presque dix ans. Cette petite personne encore inconsciente de la toxicité de notre monde. Toute frêle et innocente.

D'un mouvement tremblant, les pages ont défilé les unes après les autres jusqu'à arriver sur une en particulier. Une petite fille y est dessinée dans un coin, le visage triste. Ses mains sont remontées sur son visage d'où s'échappent quelques larmes rouges...

"Papa m'a tapé." Sont les mots inscrits au crayon noir sous le petit dessin. Le papier est comme légèrement froissé, gondolé par endroits. J'en déduis alors des infimes taches plus sombres, qu'il fut un moment où j'ai pleuré en lisant ces inscriptions.

Un simple instant d'égarement.

Un jour où j'ai dû oublier.

Ce que j'ai fait.

Le mal que j'ai causé.

La souffrance que j'ai mérité... Que je mérite encore aujourd'hui.

Puis comme un rituel, j'ai laissé une larme dévaler ma joue et s'écraser contre le papier.

UNDERCOVEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant