Les jours suivants, je ne vis pas mon père ou plutôt je l'évitais préférant m'épargner des excuses maintes et maintes fois répétées qui à force, je connais par cœur et dont les mots n'ont rien de réconfortants, mais d'humiliants. Je le soupçonne de s'excuser dans le seul but de s'assurer ma coopération quand elle est demandée ou peut-être est-ce par respect pour le souvenir de ma mère. Cependant, nous ne pouvons pas éviter le roi très longtemps. Trois coups frappés à ma porte m'intiment de quitter ma lecture. Eme, qui lisait près de moi, me jette un regard pour avoir mon consentement, d'un signe de tête, j'acquiesce et elle se lève pour aller ouvrir la porte. Mon père entre suivi du conseillé Wiston, ce qui me surprend étant donné qu'il n'a jamais assisté à une de ces comédies. Je me lève pour faire une révérence au roi et après un silence où j'affronte mon père du regard, en attente, il prend la parole en se tournant vers Eme d'un ton calme, trop calme ?:
- Laissez-nous.
- Oui, votre majesté.
Eme par loyauté cherche mon assentiment du regard, que je lui accorde. Me voilà seul avec le roi et son bras droit, ce qui m'inspire rien qui vaille.
- Asseyons-nous. Commence-t-il en indiquant les canapés. Je vais m'asseoir face à lui et Wiston reste debout à la droite de mon père et j'attends. Mon enfant, il est temps que vous accomplissiez votre devoir.
Son introduction me laisse méfiante et je jette un regard vers Wiston pour chercher des réponses, mais celui-ci l'évite.
- Il n'y a pas de bonne façon de le dire donc,... marmonne-t-il d'une voix à peine audible. Tu vas te marier. Tu épouseras le roi Alexander III.
Sa déclaration est accueillie par un silence, par mon silence. Je n'en crois pas un mot, c'est impossible. Il ne pourrait pas me faire ça, je crois rêver ou plutôt faire un cauchemar, oui ça doit être cela un cauchemar ou une plaisanterie.
- Le mariage aura lieu dans quelques mois, le plus rapidement possible et dans 3 semaines, tu rencontreras ton époux. Continue-t-il comme s'il n'avait pas lâché une information qui pourrait détruire ma vie.
- Je... je vous demande pardon ? Réussis-je à formuler.
- Tu... commence-t-il avant de s'éclaircir la gorge comme s'il était mal à l'aise. Tu épouseras le roi Alexander III, c'est déjà réglé,... et c'est ton devoir.
- J'ai peur de ne pas comprendre. Fis-je en dévisageant les 2 hommes face à moi.
- Vous avez été promise en mariage votre altesse. Intervient Wiston.
- Non,... Vous n'avez pas ça. Fis-je avec un sourire, espérant encore à une plaisanterie.
Et un regard à mon père ou plutôt un regard évité me confirme que si, il m'a vendu à un mariage comme une marchandise et n'a même pas la décence de me regarder dans les yeux. Et le pire de tout, à un homme qu'il n'a jamais vu. Où est passé le père aimant de ma jeunesse qui traitait sa fille comme la plus belle des merveilles ? Il n'est plus. Face à moi, se trouve un lâche qui n'a pas su tenir la promesse faite à ma mère et je crois que c'est ce qui me met le plus en colère. Qu'en plus d'ignorer son souvenir, il ose salir sa mémoire. Ça devrait être la tristesse ou le désespoir qui me submerge, mais ce n'est que de la colère. L'homme face à moi n'est plus un roi, il est celui qui a détruit ma vie.
- Comment avez-vous pu ?
- C'est ton devoir.
- Mon devoir ? Est-ce la seule excuse que vous avez pour trahir une promesse ? Une promesse faite à votre reine que vous affirmez avoir aimée de tout votre cœur ?
- La reine n'a rien avoir avec cela ! Cela ne concerne que toi et moi et ce royaume ! S'emporte-t-il.
- Mais au contraire ça à tout avoir avec elle ! Vous lui avez fait une promesse et par la même occasion vous m'en avez fait une ! M'exclamais-je en me levant suivi par mon père
- Ne te comporte pas comme une enfant !
- Ah ! Alors maintenant, je ne suis plus une enfant ?
- Dois-je te rappeler à qui tu t'adresses ?
- Oh non ne vous en faites pas, je sais très bien que je m'adresse à une lâche qui n'a aucune parole !
Et sans que je m'y attente, il me gifle la joue gauche. Une gifle si forte que mon visage est projetée sur le côté et j'en perds presque l'équilibre. Ma joue me brûle, une douleur intense se réveille. Je porte une main à ma joue. Je n'arrive pas à y croire, mon père a levé la main sur moi. Même le conseiller Wiston ne semble pas y croire, son regard se tourne vers le sol mal à l'aise d'être témoin de cette humiliation. Et quand je croise le regard de mon père, je n'y vois aucun regret seulement une rage pure.
- Tu t'adresses à ton roi !
Il a raison, cet homme face à moi n'a plus rien d'un père.
- Je t'interdis d'élever la voix contre moi. Ton insolence est inacceptable. Tu épouseras ce maudit roi pour ton royaume et ton comportement sera irréprochable pour garantir la paix ! Me suis-je bien fais comprendre ?
- Très bien, oui. Acquiesce-je en le regardant droit dans les yeux.
Il oublie de mentionner que cette guerre, c'est lui qui l'a déclaré parce qu'il était trop fier et insatiable pour se contenter de ce qu'il avait. Il m'écarte peut-être de beaucoup de choses, mais j'entends les bruits de couloir et je sais que c'est pour asseoir sa dominance sur les pays limitrophes qu'il a mené notre pays en guerre. Mais il était trop arrogant pour y renoncer quand il savait qu'il allait perdre. Et maintenant je paie le prix de sa bêtise.
Le roi et son conseiller quittent mes appartements sans ajouter quoi que ce soit. Je me retrouve seule. Je n'arrive pas à y croire, comment a-t-il pu ? Je me laisse tomber sur le canapé avec un soupir. Il l'a vraiment fait, je vais épouser un homme dont je ne connais rien, que je n'ai même jamais aperçue. Est-ce que ma vie est destinée à être victime du comportement d'un père devenu odieux par le chagrin ? Tellement qu'il n'a plus de respect pour sa fille, allant jusqu'à la frapper. Et pourtant, malgré le fait que cela me révolte, je vais accepter, non pas pour mon père, mais pour mon peuple et ces soldats embarqués dans une guerre, dans un combat qui n'est pas le leur. Je n'en ai aucun doute, je ferais ce qui est nécessaire. Je retourne dans ma tête la possibilité si infime que j'échappe à ce destin, mais je savais que ce jour arriverait, n'ayant ni frère, ni sœur, il a raison, c'est mon devoir. J'épouserais le roi Alexander III.
Cette réalité est comme une seconde gifle bien plus douloureuse que celle de mon père. Une larme roule sur ma joue, cela me surprend et me sort de ma torpeur, je n'ai pas pleuré depuis des années, depuis sa mort... J'essuie cette unique larme. L'évocation du souvenir de ma mère réveille en moi un sentiment que je n'ai pas ressenti depuis longtemps, le besoin de réconfort. J'ai besoin des bras de ma mère, de sa chaleur, j'ai besoin de ma mère.
J'attrape mon manteau, et pars en courant vers les jardins. Dans les couloirs, je croise Béatrice qui me demande ce que j'ai, mais je l'ignore comme j'ignore les gardes qui m'interpellent. Je cours, je continue de courir jusqu'à me retrouver dehors où l'air frais du soir m'apaise un tant soit peu. Je prends une grande inspiration en fermant les yeux et quand je les rouvre, je sais où je dois aller. Au loin, un saule pleureur se dresse près de la rivière. L'arbre, où je m'amusais enfant à jouer, renferme tant de souvenirs, des souvenirs heureux. Avec ces longues branches, il semblait idéal pour une cabane de fée.
Arrivé au saule pleureur, je m'assois contre le tronc, face à la rivière. D'ici le château semble lointain. Je me souviens que ma mère venait jouer avec moi, elle me comptait des histoires féeriques et romantiques. Le bruit de l'eau parvient à apaiser ma douleur. Et c'est ainsi que je m'endors près de l'arbre avec mes doutes et mes peurs.
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Respire
RomanceUn pays en guerre qui n'a qu'une seule échappatoire ? Des soldats morts ? Des familles détruites ? Quand Mary comprend que le seul moyen de mettre fin à tout ça est de perdre sa liberté en se mariant avec l'ennemi, un homme froid, calculateur, indif...