Chapitre 16

468 37 2
                                    

Le reste de la soirée se déroule sans accro et nous nous dirigeons vers les appartements que nous partagerons pour la nuit. Arrivé caché, des regards de tous, le roi s'assoit ou plutôt s'effondre sur un fauteuil. Je reste interdite ne sachant que faire. Il retire sa veste tant bien que mal et malgré la noirceur de sa chemise, je distingue aisément une auréole de sang traduisant sa souffrance. Je m'approche de lui et après son accord lui retire sa chemise comme je l'ai fait plus tôt dans la journée.

J'apporte de quoi nettoyer la plaie et cette fois, je m'en occupe. Alexander ne proteste pas et me laisse faire, sûrement trop fatigué pour le faire lui-même. Aucun de nous ne parle et étrangement, je commence à me plaire dans nos silences. Parfois, les mots ne sont pas nécessaires et il ne sert à rien d'en abuser. Les gestes, les regards parlent d'eux-mêmes. En cet instant, le silence est suffisant.

Je refais son bandage soigneusement en espérant que cela suffira cette fois-ci. Puis m'apprête à me lever pour jeter l'eau tachée de sang dans le pot d'une plante afin de cacher les traces de ses blessures, mais Alexander me retient par le bras.

- Merci. Souffle-t-il.

Un simple mot, d'à peine deux syllabes, mais tellement suffisant. Je hoche la tête et me lève. Mes femmes de chambre arrivent peu de temps après et me préparent au coucher. Pendant qu'elles me coiffent les cheveux, je repense aux cicatrices qui marquent le dos de mon époux, que j'ai entraperçu une nouvelle fois. D'où peut-elle venir ? Personne ne traite un roi de cette façon et vu le nombre de cicatrices, cela s'est passé à plusieurs reprises. À moins qu'il ne fût pas roi lorsque c'est arrivé. Mes yeux se posent sur son visage à travers le miroir alors qu'il est concentré à boutonner les boutons de manche de sa chemise, cette fois blanche. Aucun domestique n'est venu l'aider pour se préparer au coucher. Je me demande si c'est en raison de ses cicatrices. J'ai bien vu que le fait que je sois au courant l'avais perturbé et qu'il aurait préféré qu'il en soit autrement.

Il relève la tête ayant fini sa tâche et ses yeux plongent encore une fois dans les miens. Ses iris sont noirs, aucune forme de lumière même pas la faible lueur de la bougie ne se reflète dans ses yeux. Son regard est si profond et intense qu'à chaque fois, je me sens transportée dans un monde où il n'y aurait que ces deux petites billes noires. Elles me captivent autant qu'elles m'effraient. Elles ne m'effraient pas parce que j'ai peur de l'homme à qui elles appartiennent comme la plupart des personnes, mais parce que la force qu'elles peuvent exercer sur moi est telle que je pourrais m'y perdre. Et je ne veux pas me perdre.

Les femmes de chambre nous quittent et le roi va se coucher de son côté du lit. Il me tourne le dos et je reste interdite. Je n'ai jamais dormi avec un homme, et même s'il s'agit de mon époux, je ne sais pas comment agir. Est-ce le moment d'accomplir mon devoir d'épouse dont j'ignore tout, mais que je sais qu'il se passe dans la chambre ?

- Venez, vous couchez. Je vous promets de respecter votre espace. La journée a été longue.

Toujours le dos tourné, le roi coupe court à mes questionnements. Je vais alors me coucher me tournant dos à lui. Crispée jusqu'à la pointe des orteils, je souffle sur la bougie nous plongeant dans le noir éclairé que par la lueur de la lune qui s'infiltre par les rideaux. Les yeux ouverts, je fixe le mur face à moi, ne parvenant pas à me détendre. J'entends le matelas grincé, je crois qu'il se retourne, mais je n'ose pas bouger pour vérifier. Quelques minutes s'écoulent, le silence n'est interrompu que par les bruits de couloirs. Je crois qu'il s'est endormi, mais il chuchote :

- Respirez.

Aussitôt, je relâche ma respiration que je retenais sans le remarquer. Je ferme les yeux pour calmer les battements de mon cœur puis me retourne même si je sens mon cœur battre toujours aussi vite. Je me retrouve face à lui, la lueur de la lune se reflète sur peau, la rendant aussi pâle que la lune. Les ombres accentuent sa mâchoire carrée, ses yeux malgré la noirceur trouve les miens facilement. Ses cheveux lui tombent sur le front le rendant un peu moins menaçant. Je me plais à observer chaque partie de son visage avec minutie, je remarque une petite cicatrice au-dessus de son sourcil droit que je n'avais jamais remarqué, aussi proche que je le suis, je remarque également sa légère barbe qui commence tout juste à apparaître. Je suis surprise de l'observer ainsi sans éprouver la moindre gêne. Il me laisse faire en silence, alors que ses yeux dessinent eux aussi les contours de mon visage, de mes lèvres, de mon nez... pour revenir à mes yeux.

- Je ne vous ferais rien. Jamais je ne vous ferais le moindre mal et ne laisserais quiconque vous en faire.

Je vois dans ses yeux toute la détermination et la sincérité qui accompagne ses paroles. Et je le crois, j'ai confiance en lui. Sans un mot, sans même un geste, mais par le léger battement de mes paupières, je lui montre que j'ai compris et que je le crois. Il comprend ma réponse et là encore aucun mot n'est nécessaire, nous nous comprenons en un regard. Je n'ai jamais eu une telle relation avec quelqu'un et je me demande ce que cela signifie. Sa main se lève hésitante, mais devant aucune résistance, elle vient mettre quelques mèches brunes derrière mon oreille. Le contact de ses doigts me donne la chair de poule, son geste est doux et tendre.

- Dormez maintenant...

Je ferme les yeux et c'est dans un apaisement que je n'ai pas connu depuis des années que je m'endors à ses côtés.

RespireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant