Chapitre 9

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- Nous sommes bientôt arrivés. Nous passerons la nuit dans ma demeure de Villendry et demain, nous passerons la frontière pour rejoindre le château de Gium.

La voix du roi me prend par surprise, me tirant de ma contemplation silencieuse. Cela fait plusieurs heures que nous sommes partis, la nuit est maintenant pleine et je commence à avoir faim et à être engourdi. Mon époux n'a pas pipé mot et je dois dire que si d'abord cela m'a mis mal à l'aise, ça finit par être agréable. Pas besoin de faire la conversation, de chercher à lui plaire ni même de le tolérer. Mon époux a été aussi silencieux qu'une tombe et à part regarder à plusieurs reprises sa montre, il n'a pas détaché ses yeux de la fenêtre. Je me suis plu à faire de même, cela m'a permis de calmer le tourbillon de questions qui me torturait.

J'adresse un simple hochement de tête à l'homme qui me fait face et reprend ma contemplation. J'ai entendu parler du domaine de Villendry. Aujourd'hui propriété de mon époux, il était à l'arrivée de ma mère dans ce pays, un présent de grande valeur.

Peu de temps après, nous arrivons devant un imposant domaine, l'architecture de style gothique est somptueuse. Le carrosse s'arrête devant un large escalier. Le roi Alexander descend le premier et je le suis à l'intérieur du bâtiment. La bâtisse bien que simplette pour la royauté, est magnifique : de haut plafond avec des moulures représentant diverses végétations, de grandes toiles qui ornent les murs et dans chaque pièce des fleurs fraîchement cueillis. Pendant ma contemplation, mon époux continue d'avancer tout en s'entretenant avec une domestique assez âgée que je n'avais pas vu nous rejoindre. Je prends garde de ne pas les perdre, et les suis dans une salle à manger bleu.

- Vous dînerez ici, les domestiques ont préparé de quoi vous nourrir. Il y a également une chambre qui vous est destinée à l'étage, Nicole ici présente, vous y conduira quand vous aurez fini. Pour demain, je souhaite partir dès l'aube pour arriver au plus tôt au château.

Je hoche la tête, ne sachant que dire devant ces informations. Ayant la certitude que j'ai comprise, il se dirige vers la porte.

- Vous,... vous ne dînez pas avec moi ?

Ses yeux froids se plantent dans les miens et je retiens mon souffle.

- J'ai des affaires à régler, je vous retrouverai demain au carrosse.

Sans que je ne puisse ajouter quoi que ce soit, il se dirige vers la porte, au seuil de celle-ci, il s'arrête faisant battre mon cœur plus vite. J'espère qu'il va se retourner, j'espère recroiser son regard et cette fois y lire quelque chose, mais non rien, il sort de la pièce. Ce n'est pas comme ça que j'imaginais notre nuit de noces. Je ne sais pas quoi penser de lui, il semble totalement indifférent à moi, comme si être marié n'avait rien changé pour lui. J'ai pensé lors de notre échange de vœux que les rumeurs n'étaient pas fondées, mais je crains que ce ne soit le cas.

On m'apporte une soupe, mais je n'ai plus faim. Après avoir picoré dans mon pain, je demande à Nicole de me mener à ma chambre. J'ai besoin d'être seule. Parce que j'ai peur de devenir folle à trop penser et je n'ai pas envie que mon tout nouvel époux croit avoir épousée une folle, même si je crois que d'un point de vue conjugale cela lui serait égal.

Au petit matin, quand je me réveille, je dois dire que je suis épuisée, voilà plusieurs nuits que je ne dors presque pas et cette dernière nuit n'a rien arrangé. Heureusement, un peu de poudre et mon visage, marqué par la fatigue, devient rayonnant, même si on ne peut pas en dire de même pour mes yeux. En sortant de la demeure, j'aperçois le roi Alexander près du carrosse. Le dos tourné, il caresse l'encolure des cheveux, il ne m'a pas encore aperçu ce qui me laisse tout le luxe de l'observer alors que je n'osais pas la veille de peur qu'il s'en aperçoive. Ses épaules sont larges, les muscles de son dos semblent vouloir s'échapper de ses habits sur mesure. Tout comme hier et le jour de notre rencontre, il est vêtu tout de noir. Sur sa nuque, ses cheveux forment une petite queue, je me souviens que ma mère m'avait raconté que cela signifiait que le prochain né serait de sexe opposé. J'en possède une aussi, ce qui signifie que si ma mère avait pu avoir un autre enfant, cela aurait sûrement été un garçon. Je me demande alors si mon cher époux a des frères et sœurs, je n'en sais rien comme je ne sais rien de cet homme.

- Votre grâce, voici un bouquet de fleurs fraîchement cueilli. Déclare Nicole dans mon dos.

Mes yeux toujours fixés sur le dos d'Alexander, il se retourne en entendant la voix de Nicole. Oups ! Grillé... Nos yeux se croisent et ne se lâchent plus, mon souffle se coupe, enfin, je crois, à vrai dire, je ne sais plus comment respirer quand ses yeux indéchiffrables me fixent de cette manière.

Nicole arrive à ma hauteur et silencieusement, je remercie mille fois cette dernière d'avoir fait diversion me permettant de me détacher de lui et par la même occasion de respirer enfin. Je récupère le bouquet, la remercie et rejoins le carrosse où il m'attend. D'un léger signe de tête il me salut auquel je réponds de la même manière. Pas un sourire, pas une grimace ne fait bouger la ligne droite que forme sa bouche. Pensant qu'il ne dira pas un mot, je me dirige vers le carrosse cependant, il m'interpelle.

- Vous n'avez pas beaucoup mangé hier soir.

Je ne comprends pas comment il peut le savoir sachant qu'il n'a pas mangé à mes côtés, mais surtout, je ne comprends pas non plus le but de sa remarque. Voyant mon incompréhension, il ajoute :

- Nicole m'a prévenu.

Apparemment, il n'a pas compris la raison principale de mon incompréhension. Cependant, il semble attendre une réponse, or je ne sais que répondre à cela. Qu'attend-il de moi ? Que je m'excuse ? Alors là, il peut toujours courir. Que je m'apitoie sur mon sort ? Alors, il ne sait pas qui il a devant lui, la faute à qui ? Je commence à m'agacer de son comportement, son attitude froide et distante me déstabilise et je déteste me retrouver dans cette position... Dès qu'il prononce une parole, c'est à peine si ses phrases respectent la syntaxe adéquate pour une phrase avec un sujet, un verbe et un complément. Quant à l'intonation qu'il y apporte, nous ne pouvons pas qualifier cela de chaleureux ou même de sympathique. Son ton monocorde semble ne servir qu'à exiger. Et c'est ce qu'il semble se passer alors qu'il me fixe toujours, dans l'attente encore d'une réponse que je ne connais pas. Il exige que je m'explique, or, je n'en ferais rien.

- Vous auriez dû manger. C'est à peine si vous avez avalé quelque chose hier midi, je vous avais pourtant conseillé de vous nourrir pour le voyage.

Alors là, il est culotté ! Il semble pensé que parce qu'il me demande, ou plutôt il exige quelque chose, je vais obéir. Il se trompe sur toute la ligne.

- Je vous demande pardon ? Dis-je sèchement.

Face à ma colère évidente, il semble d'abord sceptique alors je prends soin d'éclairer sa lanterne. Tant pis pour les conséquences que cela pourrait avoir, il me met hors de moi et pire que tout n'en a même pas conscience !

- Comment pouvez-vous vous permettre d'exiger quoi que ce soit à mon égard ? Vous êtes peut-être aujourd'hui mon mari et mon roi, mais ne croyez pas que pour ces raisons, je me plierais à toutes vos exigences, surtout quand elle ne concerne que moi !

Sans attendre une minute de plus, je me détourne de lui et rentre dans le carrosse. Quand j'ose jeter un regard par ma vitre, je remarque qu'il n'a pas bougé et qu'il me regarde. Je crois apercevoir le coin de ses lèvres se soulever, mais je dois sûrement rêver, car cet homme ne sourit pas et sûrement jamais. Je me détourne une fois encore et m'intime à éviter tout contact avec lui pour le reste du trajet.

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