Chapitre 1
30 novembre 2023
Telle la sentence retentissant, la porte se scella derrière moi et je m'éloignai de l'hôtel particulier de mes grands-parents en serrant mon sac contre mon ventre, aussi amère que frustrée. Car cette situation, cette impasse qu'il me fallait désormais résoudre à l'approche des partiels du premier semestre, c'était bien la faute de ma cousine Angélique. Si cette vipère n'avait pas été là pour me décocher sa condescendance, jamais je ne me serais mise dans cette situation. J'aurais accepté mon sort, serais venue seule pour le réveillon comme chaque année et aurais noyé ma peine dans le chardonnay. Mais non, elle avait été là. Elle n'avait su ravaler sa foutue supériorité, et, forcément, j'avais perdu pied.
— Maudite Angie.
Maudite était-elle, elle et son emploi présomptueux qui nous reléguait tous au statut d'imbéciles ; maudite était-elle, elle et son couple parfait avec son héritier d'une noblesse oubliée. Parfois, je me demandais encore pourquoi je luttais, pourquoi, à l'instar de Camille, sa sœur, je n'acceptais tout simplement pas mon sort.
Une bourrasque cingla mon visage : j'enfouis mon nez dans mon écharpe et hâtai le pas, pressée de retrouver mon petit appartement. Car la nuit progressait, et je n'avais guère envie de m'attarder dans les rues parisiennes sitôt la pénombre tombée.
Mes bottes troublant les flaques, je longeai le quartier du marais jusqu'à rejoindre la rive opposée le temps d'apprécier, comme toujours, Notre-Dame, et descendis à la station de métro Châtelet, vidée de toute énergie.
L'odeur d'urine me saisit à la gorge, mais je poursuivis mon chemin, m'amusant maigrement à l'image qui, pourtant, habituellement, m'arrachait toujours un sourire : celle de ma grand-mère s'évanouissant en apprenant que j'avais préféré le métro, ce repaire de malfrats, plutôt que d'appeler un chauffeur.
« Sais-tu seulement le nombre de personnes qui rêverait d'avoir ta chance, Anastasia ? me répétait-elle. »
Oui, j'avais conscience du nombre de gens prêts à tuer pour avoir ma chance, comme ils la nommaient. Dans l'esprit commun, hôtels particuliers, vignobles et chauffeurs particuliers rimaient avec extase. Cependant, ne leur en déplaise, l'opulence ne rimait pas avec bonheur, loin de là. Certes, j'admettais qu'il était plus agréable de voyager en Mercedes qu'en train, qu'il était plus sympathique de se prélasser au bord d'une piscine que sur le sable brûlant là où les enfants criaient et vous aspergeaient... Mais ces privilèges n'assuraient pas le bonheur. À quoi servait-il d'avoir un domaine possédant parc et champs si la solitude seule vous accompagnait ? À quoi cela servait-il d'enchaîner les diners en robe de soie si l'hypocrisie seule conversait ? Je préférais, et de loin, boire de la tequila entourée d'esprits authentiques, plutôt que du champagne en compagnie d'aristocrates et bourgeois complaisants dont l'unique pensée se résumait à médire la plèbe qu'il feignait parfois de prendre en pitié.
Un paquet de couches sous un bras, une mallette dans sa main, un homme se fraya un passage parmi les travailleurs épuisés qui attendaient la rame qu'ils savaient déjà bondée. Un fait qui s'affirma à l'instant même où cette dernière, vrombissant dans son tunnel, freina rudement sous nos yeux.
Le bruit annonçant l'ouverture des portes retentit contre la voûte du tunnel, et le challenge moite commença. Comme tous les autres, je jouais des coudes pour me frayer un passage dans ce cloaque étouffant, slalomant entre ceux qui descendaient et m'empêchaient de m'avancer. Pourquoi m'obstinais-je à prendre le métro plutôt qu'un chauffeur ? La question m'obsédait à chaque montée, avant de disparaître sitôt ce duel passé. Alex prétendait que c'était l'adrénaline qui me poussait à recommencer, mais j'en doutais. Non, à mon sens, j'y retournai simplement parce que, comme bon nombre de choses dans ma vie, je ne prêtai attention à leur incommodité que sur le moment ; et sitôt ce moment passé, je le reléguai sans plus y songer.
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Tel est pris...
Romance« En réalité, ce sera Anastasia plus un, cette année. » Une phrase. Une simple phrase, et j'embrassais l'anxiété à bras ouvert. Qu'est-ce qui m'avait pris de mentir ainsi ? Le sourire goguenard de ma cousine parfaite, sans aucun doute. Sauf que main...