Chapitre 15
« Plus qu'une épaule déboitée. »
Cette phrase tournait autant en boucle dans mon esprit que mon corps ne se retournait, encore et encore, sous ma couette. Plus qu'une épaule déboitée, qu'est-ce que cela impliquait exactement ? Alex avait-il omis un pan de l'histoire ? Était-ce bien Marine et Lucas qui étaient venus nous rejoindre ? Entre les mains de qui m'avait-il laissé me soûler ? Merde, mais qu'est-ce que j'ignorais ? À quoi avait-il joué ce soir-là ?
Exténuée, et désemparée de ce sommeil qui, contraint par la position, fuyait toujours, je remontai contre mon oreiller : mon regard se porta alors sur le sapin de fortune dans le coin de ma chambre, celui que Léo avait tenu à décorer juste avant que mon père me ramène de l'hôpital quelques jours plus tôt, afin de me remonter le moral pendant mon séjour ici.
Léo... Je me souvenais du jour où j'avais déménagé, des larmes qui rongeaient son petit visage décomposé, de sa petite main me suppliant de rester, tout comme je me souvenais de ma main lâchant la sienne et du baiser que j'avais déposé sur sa joue avant de m'en aller. Je me souvenais de l'étonnement d'Alex quant à ma décision de m'envoler, surtout vers un nid plus petit, tout comme je me souvenais de la désapprobation de mes grands-parents qui réprouvaient cette indépendance solitaire. Aucun d'eux n'a jamais su la véritable raison de ce départ jugé précipité ; seul mon père la connait. Et ce secret, il l'emportera dans sa tombe.
Une pâle lumière bleue se joignit à la lumière tamisée de la guirlande électrique laissée allumée. Je tournai mon visage sur ma gauche, en direction de ma table de chevet où mon portable chargeait : un message venait d'arriver. C'était Alex. Il venait aux nouvelles, tant en termes de rémission que de santé mentale, curieux de savoir si je survivais à ce combat d'un nouveau genre face à Devlin. Un message qui ne tarda pas à être suivi d'un second, bien moins altruiste :
Aussi, est-ce que tu pourrais m'envoyer tes notes sur les fusions ?
— Toujours aussi bordélique, soupirai-je.
Car j'en avais l'intime conviction ; pour qu'il me demande mes notes, soit il avait égaré les siennes, soit Nimbus, le bouledogue de la famille, avait bavé dessus ou pire. Chaque année, c'était pareil.
M'asseyant contre mes oreillers empilés, je composais gauchement une réponse que la porte de ma chambre s'entrebâilla. Une poignée de seconde plus tard, la petite tête échevelée de Léo se faufila, scanna la pièce tamisée, repéra mon état de conscience, entra et referma.
À pas de souris, il trottina jusqu'à mon lit. Et tandis que je reposais mon téléphone avec le message inachevé sur ma table de chevet, il se glissa à mes côtés, à la place que je lui libérais.
« Ça va ? m'enquis-je face à sa petite mine.
— Ça va. »
Entre cette réponse évasive, cette impromptue visite nocturne et son œil triste, aucun besoin d'être thérapeute pour comprendre que, non, ça n'allait pas. Inspirant profondément, je pressai mon épaule gauche contre la sienne, plus frêle, qui effleurait la mienne et insistai :
« Allez, dis à ta grande sœur ce qui te tracasse. »
Les yeux rivés au sapin qu'il avait décoré, il inspira. Puis, ses yeux rencontrant les miens, il déballa :
« Tu crois que maman et papa vont divorcer ?
— Quoi ? »
– Ils ne font jamais rien ensemble, et papa travaille tout le temps... Je suis plus un bébé, tu sais. Peut-être que je n'entends pas, mais je vois bien qu'ils ne s'adressent presque plus la parole. Sauf quand il y a du monde... »
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Tel est pris...
Romance« En réalité, ce sera Anastasia plus un, cette année. » Une phrase. Une simple phrase, et j'embrassais l'anxiété à bras ouvert. Qu'est-ce qui m'avait pris de mentir ainsi ? Le sourire goguenard de ma cousine parfaite, sans aucun doute. Sauf que main...