Chapitre 6

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Chapitre 6

2 décembre 2023

« Ne bouge pas, je m'en occupe, signa mon petit frère. »

Ardemment investi dans le rôle qu'il s'était attribué une heure auparavant, Léo me barra le passage et m'interdit tout mouvement s'éloignant de celui d'incarner une simple larve sur le canapé.

« J'ai le bras en écharpe, je ne suis pas alité, signai-je laborieusement d'une main valide.

Non, persista-t-il avec vigueur. »

Les mains en avant, il patienta quelques instants, méfiant que je puisse me relever et feindre une trouée, avant de battre en retraite et de courir rejoindre notre mère à la cuisine.

— Ridicule, maugréai-je.

— Ton frère veut juste être présent pour toi, me réprimanda mon père. Sois reconnaissante de cela, Anastasia. La famille, c'est important.

La reconnaissance ? Que voilà un noble argument pour un homme qui n'en éprouvait aucune quant au travail de sa femme à la maison. Jamais un remerciement, ni même un bouquet de tulipes pour le repas prêt chaque soir, pour ses costumes blanchis chaque matin. Non, simplement des escapades, comme il les nommait, dans de luxueux hôtels où, très sincèrement, je n'étais pas certaine qu'ils ravivaient la flamme. L'importance de la famille ? Que voilà une noble valeur pour un homme qui nous rebattait les oreilles avec les sacrifices consenties pour nous offrir cette vie, mais dont une heure de son temps ne pouvait nous être consentie sans qu'un appel, ou même un mail, n'altèrent son attention. Non, il n'y avait pas à dire : en matière de vie, mon père excellait dans l'art de prodiguer des leçons dont il était toujours l'exception.

Bientôt, mes divagations m'absorbèrent complètement. À tel point que lorsque sonna l'arrivée d'un visiteur, j'en sursautai de frayeur.

— Ponctuel, apprécia mon père en jetant un œil à sa montre.

Ponctuel ?

Il remonta son pantalon déjà parfaitement maintenu, enfouit son sacrosaint téléphone dans l'une de ses deux poches et je m'enquis, le menton relevé :

— Nous attentions quelqu'un ?

— Eh bien, oui, ton petit-ami. Ou quelle que soit l'étiquette que les jeunes se donnent désormais.

Mon petit ami ? Qui avait-il bien pu prendre pour mon...

Dans le vestibule, la voix de ma mère accueillait le jeune homme en question que je déduisis la réponse manquante : Devlin. Ils songeaient que Tom Devlin était le petit-ami caché ; celui-là même que je devais leur présenter le soir du réveillon.

Merde.

— Ce jeune homme a pris soin de ma fille, poursuivit mon père. Il était naturel qu'après ses exploits, je l'invite à dîner.

Ses exploits ? Quels mensonges ce crétin avait-il fomentés auprès de mon père ? Et, surtout, dans quel but ? Car je le savais : avec Devlin rien n'était gratuit. Même partager ses notes de cours avait un prix ! Alors quel était-il cette fois-ci ?

Les réflexions fusaient dans mon esprit, m'accaparaient et assourdissaient le monde m'entourant, que je manquais presque d'entendre l'idée qui ne tarderait pas à m'étouffer.

— D'autant plus qu'il s'agit du jeune homme partageant ton quotidien, reprit-il en me passant devant. Tu ne peux me reprocher de vouloir apprendre à connaître celui qui sera peut-être mon gendre.

Tel est pris...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant