Chapitre 32

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Chapitre 32

24 décembre 2023

— Tout le monde est là, apprécia mon père.

Quelques regards nous accueillirent, puis se lassèrent avant même que nous ne retrouvions nos places en bout de table. De toute évidence, une annonce se préparait et les curiosités se braquaient ailleurs désormais.

Ma chaise repoussée, Tom s'asseyait à son tour que mon père reprit :

— Comme certains le savent déjà, Gilles a décidé de prendre sa retraite. La mort de Rose l'a secoué, et il souhaite profiter de ses petits-enfants.

— Les pauvres..., s'attrista ma grand-mère.

— Il n'y a pas de douleur plus grande pour un parent que celle de perdre son enfant, se navra mon grand-père.

Une minute de silence s'imposa à notre tablée ; et pour cause, à peu de gens près, nous connaissions tous Rose.

Rose, décédée... J'avais eu vent de son décès quelques mois plus tôt en allant dîner chez mes parents. La nouvelle avait bouleversé ma mère. Mon père avait placé la violence de son émotion sur la tragédie de l'accident, ce chauffard qui, ivre, avait confondu trottoir et chaussée en pleine journée. Mais personnellement, j'étais persuadée que la raison résidait ailleurs. Toutes les deux étaient à peu près du même âge ; et je mettais ma main à couper que, quelque part dans l'esprit de ma mère, l'amalgame s'effectuait.

Évidemment, comble de la tragédie, Rose laissait derrière elle deux enfants. Un de l'âge de Léo, un autre plus jeune encore. Deux enfants dont le père ignorait probablement les prénoms tant il passait son temps dans les avions à courir les conférences. Mais comme c'était pour sa famille, c'était acceptable, désirable même. Qui ne désirait pas d'un homme responsable, un bourreau de travail qui fournissait le matériel pour se décharger de l'essentiel : l'émotionnel ? Une chose était sûre : après cette tragédie, il allait devoir revoir son modèle ; car sans mère au foyer, venait l'heure pour le père de soigner et d'élever.

— Le procès s'est déjà tenu ? s'enquit Angie.

— Il se jouera aux assises, lui rappela Maximilien.

— Soit pas avant deux ans, déplora mon père.

— La justice se chargera de son cas, assura Louis.

— Ou pas...

Alors que je vidais le reste de mon vin, les têtes se tournèrent et je compris que ma pensée venait de m'échapper. En profitais-je pour me repentir et me taire ? Loin de là. L'alcool donnant des ailes, j'insistai :

— Quoi ? C'est vrai. Aujourd'hui, il est plus facile de se tirer d'un viol ou d'un meurtre que du vol d'une miche de pain pour nourrir sa famille.

— L'exagération, soupira Louis.

— L'exagération ? m'estomaquai-je.

— Les condamnations sont plus éparses, concéda Maximilien, mais pas inexistantes.

— Évidemment qu'elles sont plus éparses, s'agaça Philippe. Il en va de la vie des gens !

— De la vie des gens ? m'étouffai-je. Et leurs victimes, ou leurs familles alors ? Elles n'en ont pas peut-être ?

— Enfin, Anastasia ! s'emporta Louis. Aujourd'hui, avec les mouvements extrémistes, tout part en vrille. Il faut réagir avec sang-froid, et non avec émotivité. Tel est la marque d'un avocat, d'ailleurs. N'est-ce pas, Blaise ?

Tel est pris...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant