Chapitre 12

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Chapitre 12

« Article 3 : Ce présent contrat s'étend à une période de deux semaines franches à compter de la signature des deux parties équivalent à l'acceptation des conditions sus-établies ainsi qu'au départ des deux semaines précédemment mentionnées.

La période de deux semaines peut être reconductible, si besoin se manifeste, pour une durée de deux semaines supplémentaires si l'une des parties en fait la demande expresse avant l'achèvement du dernier jour du présent contrat.

Dans l'éventualité où les conditions du présent contrat ne seraient pas acceptées, à comprendre formalisés par une signature des deux parties consentantes, dans un délai permettant l'absorption des informations requises par l'article 4, à savoir un délai de quarante-huit heures minimum, le présent contrat sera caduque.

De la rupture du contrat... »

Je reposai le contrat, effarée.

Il avait pensé à tout. Pas un pan de cette pseudo-relation n'était oublié. Que ce soit de sa définition même à ses conditions, ses limites et ses exceptions, tout était pensé, planifié et codifié. C'en était effrayant. Dans cette précision extrême, un fait me réconfortait : sa probité. Car Devlin ne se contentait pas d'apparaître au réveillon et de s'évaporer. Non, ce qu'il me permettait, c'était de m'accompagner sur cette sombre période de fin d'années avant la rupture programmée.

« Article 7 : Dans le cas où l'une des deux parties ferait preuve de déloyauté, médisance et perfidie envers l'autre partie durant l'exercice du dit-contrat, à comprendre un déjeuner, un dîner ou tout autre évènement social ou familial, une pénalité sera appliquée.

En outre, la partie fautive s'engagera ainsi à renoncer, purement et simplement, au stage à la Cour de justice européenne.

Article 8 : Dans le cas où l'une des deux parties romprait l'engagement du contrat sans préavis, la partie fautive s'engagera ainsi à renoncer, purement et simplement, au stage à la Cour de justice européenne. »

Si j'avais songé que tout ceci n'était qu'une machination destinée à m'extorquer de l'argent, ou pire, m'humilier, force était de constater que non. De toute évidence, Devlin prenait cet engagement avec sérieux et ce contrat en était la preuve. Une chose m'apparaissait sûre : ces deux mille euros devaient être une nécessité pour lui. Enfin, toujours était-il que, désormais, je comprenais mieux son allusion au dîner qui devait se tenir dans deux jours... Si je désirais la persistance de son soutien, terminé la période d'essai ; à présent, il me fallait m'engager.

D'un soupir, je sautais le dernier article de ce contrat pointilleux, le 9, et descendais directement à l'endroit que, de toute façon, je n'avais d'autre choix que de signer ; ou, plutôt, de co-signer.

— Sérieusement ?

Datée et paraphée, la signature de la partie une s'apposait déjà au bas de ce contrat. Une signature qui me laissait perplexe quant à l'âge de mon co-signataire. Élégante et assurée, on sentait bien que le poignet n'avait pas hésité ; pas plus qu'il n'avait improvisé. Non, cette signature était celle d'un homme mûr et sûr de lui. Un homme qui, en règle générale, à moins de naître avec des responsabilités en main, culminait à la quarantaine lorsqu'il atteignait un tel niveau d'assurance. Un âge, qu'à moins qu'il ne soit victime d'une maladie à la Benjamin Button, il n'avait pas.

— Tout va bien ?

Maîtrisant la hâte qui m'envahissait, j'inspirai et couvris avec un calme surprenant le contrat d'un dossier de révision. Mon père entrait dans ma chambre, avançait jusqu'au dossier de mon siège de bureau que je feignis l'innocence de plus belle, me payant même le luxe d'un bâillement.

— La fusion d'entreprise, hm ?

— Pour mon plus grand plaisir...

Il rit.

— Je me souviens quand j'étais à ta place, ce sujet m'intéressait autant que les placements d'épargnes.

S'éloignant de quelques pas, il s'assit sur mon lit, comme s'il prenait ses aises pour me raconter la fabuleuse épopée de son existence, l'instant où elle avait basculé, où il avait compris le secret de la vie et des fusions d'entreprises. Pourtant, rien ne vint. Il resta là, dans la lumière tamisée qu'offraient mes guirlandes et l'écran de mon iMac en veille.

Il s'obstinait dans ce silence, vagabondant d'objet en objet, un sourire mélancolique s'esquissant devant l'exemplaire de Musset sur ma table de chevet, et j'égarais ma patience. Bon sang, que voulait-il ? Visiblement pas me parler d'études. Alors, quoi ? Quelle raison motivait cet exceptionnel tête-à-tête à cette heure ?

Son regard se posait sur le sapin d'appoint qui ornait un coin de ma chambre que, d'une pression sur la barre espace, je réveillai l'ordinateur et fis mine de reprendre mes révisions :

— L'intérêt vient avec la pratique, j'imagine.

— Exactement.

L'expiration qui s'éleva derrière mon dos tandis qu'il se relevait me frappa. Plus que le mensonge qui tâchait de faire bonne mesure, je pris conscience de l'incroyable vieillesse qui semblait peser sur lui. Comme si le poids d'un secret l'écrasait. Un poids que je suspectais à peine, mais qui, déjà, m'oppressait.

— Papa ?

Je fis pivoter ma chaise vers l'embrasure de ma porte ; il s'y arrêta et me regarda.

— Je suis désolée.

— De quoi, princesse ?

Mon regard fuit vers mes genoux où mes doigts s'enfouissaient. Plus que jamais, la douleur diffuse dans mon bras mordit mon épaule et ma nuque.

— De t'avoir déçue.

Un nœud enfla dans ma gorge, piqua mon nez. Le temps que je prenne conscience de l'émotion s'exprimant, mon père était de retour à mes côtés. Une main sur mon épaule gauche, il m'assura :

— Jamais tu ne m'as déçue, Anastasia.

Une main contre l'arrière de mon crâne, sur mes boucles détachées, il m'assura :

— Quoi qu'il arrive, sache que tu es ma plus belle réussite et que je t'aimerai toujours.

Puis, se penchant, il scella cette promesse d'un baiser sur mon front. Pour ma part, cette tendresse me pétrifia. Quoi qu'il arrive, avait-il dit. Devais-je comprendre que quelque chose n'allait pas ? Oui, c'était évident. Mais dans quel domaine ? Professionnel ou personnel ? Devais-je craindre une scission dans son cabinet ou un divorce ? Ou pire, un cancer ?

— Pense à te reposer un peu, me lança-t-il depuis la porte. Et si jamais tu changes d'avis, j'appellerai Jacques. D'accord ?

— D'accord, déglutis-je.

D'un sourire paternel, empreint d'affection, il me rendit mon intimité et referma la porte, inconscient qu'après cette visite, l'intimité attisait les scénarios de l'anxiété.

Tel est pris...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant