Chapitre 24
21 décembre 2023
Blaise.
J'avais beau tourner ça dans tous les sens, rejouer la scène, encore et encore, ça me semblait toujours aussi irréel. Qu'il charme ma mère et obtienne en quelques heures le passe-droit d'utiliser son prénom ? D'accord, la tâche était aisée, je le concevais. Mais réussir ce tour de force avec mon père ? Mon père qui se méfiait de chaque homme m'approchant, savourant la distance que forçait le respect de l'âge même avec mes plus anciens et proches amis ? Non. Il n'y avait rien à faire, ça me laissait sur le cul. Même Alex n'avait jamais eu ce privilège... Et je le connaissais depuis le jardin d'enfants ! Sérieusement, c'était quoi son secret ? Il émanait une drogue subtile de son parfum qui enivrait les sens ?
Oui.
C'était plausible. Après tout, c'était depuis que j'étais contrainte à la proximité avec lui que mon amertume et ma méfiance s'étaient essoufflées. Et si là était le secret de sa réussite ? Depuis trois ans, je me demandais comment cet Anglais, aussi pâle que la neige et aussi agaçant qu'un caillou dans le soulier, s'attirait les faveurs des gens. La gent féminine, j'avais rapidement admis que ce cafard, ne m'en déplaise, avait du charisme ; et que ce charisme, couplé au mystère qu'entretenait sa discrétion, séduisait. Les professeurs, quant à eux, j'avais placé leur affection sur son incroyable capacité à fayoter. Mais peut-être m'étais-je trompée ? Peut-être séduisait-il traîtrement ?
Et où est-ce qu'il se serait procuré ce genre de poison ? Réfléchis, voyons.
OK... Peut-être m'étais-je emballé. Il n'empêchait que mon raisonnement se tenait. Que quelque chose chez lui clochait. Sinon, pourquoi commençais-je à relâcher ma vigilance ? à l'appeler par son prénom et m'enflammer à la sensation de sa peau sur la mienne ? Non. Il y avait une explication rationnelle à ces changements, j'en étais certaine. Il me fallait juste la trouver.
— Princesse ?
Inspirant profondément, je chassai mes réflexions et tournai mon visage vers la porte de ma chambre par laquelle émanait un rai de blafarde luminosité sur le parquet. Dans l'embrasure de cette dernière entrouverte se tenait mon père. Le costume à la Harvey Specter enfilé et la cravate nouée, il s'apprêtait à partir travailler.
— Déjà levée ?
La main libérée de l'écharpe qui m'avait accompagnée ces dernières semaines, je frottai mon visage avant de remonter vers mon front. Mes doigts s'enfouirent dans mes boucles, alors, le regard balayant l'ordinateur où se succédaient les épisodes de The Walking Dead, je soupirai :
— Insomnie...
La luminosité blafarde de cette brumeuse matinée révéla le sapin aux lumières éteintes. L'instant d'après, mon père s'asseyait sur le rebord de mon lit, son dos masquant l'écran aux reflets bleutés.
— Ton épaule ?
— Oui.
Ce n'était pas beau de mentir, certes. Mais à 8 h du matin, à peine, une petite session père-fille à cœur ouvert m'étourdissait rien que d'y penser. Et puis, de toute manière, qu'aurait-il fait ? Tom était mon erreur. J'avais introduit le loup dans la bergerie, sans garantie de ce qu'il convoitait exactement, simplement pour satisfaire mon égo froissé. Maintenant, c'était à moi d'assumer.
— Phil m'a donné le numéro d'un excellent kiné. Je vais l'appeler et voir s'il peut te prendre entre midi et deux.
— Entre midi et deux ?
— Que je puisse t'emmener.
— Je peux prendre les transports, tu sais, ou même un taxi. Et puis, j'ai déjà une kiné.
— Non.
Qu'est-ce que c'était que cette nouvelle bizarrerie encore ? Du haut de mes vingt-et-un ans, je n'avais plus le droit de me déplacer comme je l'entendais ? Et pourquoi me faire changer de kiné ?
— Je t'emmènerai entre midi et deux, décida-t-il. Comme ça, ça nous donnera l'occasion de déjeuner tous les deux, qu'en dis-tu ? Ça fait longtemps que nous n'avons pas partagé un repas, rien que nous deux.
Non mais, il avait fumé quelque chose ce matin ? Qu'est-ce qui lui prenait ? Après cinq ans de discussion sommaire, d'instants grappillés en coup de vent, il se réveillait comme ça, un beau matin, avec l'envie de déjeuner avec sa fille ? Qu'est-ce qu'il se passait ?
Déposant un baiser sur mon front, il se pencha et déclara :
— Essaie de te reposer un peu. Je t'enverrai un message pour te prévenir de l'heure à laquelle je passerai te chercher.
Le corps ralenti d'une lassitude extrême, d'une vieillesse soudaine, il se releva. Il se dirigeait vers la porte que je l'arrêtai :
— Papa ?
— Oui, ma princesse ?
Un regard à l'écran, puis je déglutis et dis :
— Il faudrait que je sorte deux mille euros de mon compte. Pour une formation.
Sceptique, il répéta :
— Une formation ?
— Tu vas trouver ça idiot...
Expirant longuement, il revint vers moi et se rassit.
— Pourquoi je trouverais ça idiot ?
— Parce que c'est une formation d'écrivain...
La surprise agrandit ses yeux, estompa ses cernes.
— Ils font des formations pour devenir écrivain ?
Devant mon approbation silencieuse, il soupira puis ajouta :
— Après tout, je suppose que tout s'apprend. Et donc, enchaîna-t-il, tu veux suivre cette formation ?
Une nouvelle fois, j'approuvai d'un hochement de tête.
— Deux mille euros, c'est ça ?
Cette fois, ce fut mon silence gêné qui lui répondit.
— Je sais que ce n'est pas cohérent avec mon parcours, mais...
— Ça te ferait plaisir ?
Désarçonnée par cette question, la perspective qu'elle ouvrait, je le dévisageai.
— Oui, bredouillai-je avant de m'éclaircir la gorge. Oui, ça me ferait plaisir de la suivre.
— Dans ce cas, expira-t-il en se relevant, je te ferai un virement. Tu n'auras qu'à leur virer à ton tour. Il te le faut pour quand ?
— La fin de la semaine, balbutiai-je. Avant le réveillon.
— Rappelle-le-moi ce soir, d'accord ?
— D'accord.
D'un dernier baiser sur mon front, il s'éclipsa et referma la porte. L'obscurité tempérée par l'écran bleuté baignait de nouveau la pièce après son passage que son geste m'étourdissait encore.
Des cours d'écrivain pour mon plaisir... et il n'avait pas réclamé de preuve, ni même de procéder lui-même au virement ! Lui qui estimait qu'un travail devait être stable pour être respectable !
Cette fois, j'en étais certaine, quelque chose se tramait.
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Tel est pris...
Romance« En réalité, ce sera Anastasia plus un, cette année. » Une phrase. Une simple phrase, et j'embrassais l'anxiété à bras ouvert. Qu'est-ce qui m'avait pris de mentir ainsi ? Le sourire goguenard de ma cousine parfaite, sans aucun doute. Sauf que main...