Chapitre 14

21 3 1
                                    


Chapitre 14

Le dos meurtri par l'inconfortable siège qui invitait les visiteurs à ne pas s'éterniser au chevet des patients, je regardais la pluie battre le carreau assombri par la nuit, me divertissant d'une course folle entre deux gouttes avant d'en choisir deux autres pour passer le temps. Deux minutes, la vie de Devlin s'était jouée à deux minutes près. Selon le médecin, si je ne m'étais pas souvenue de ce détail, que nous avions attendu le verre d'eau proposé par ma mère avant d'appeler les pompiers, Devlin serait à la morgue ; et si j'avais toujours maudit ce stage que nous avions décroché tous les deux, je le bénissais désormais.

Deux minutes, soupirai-je.

C'était dans ces instants-là que vous preniez véritablement conscience d'à quel point la vie était fragile ; à quel point, en une fraction de seconde, elle pouvait irrémédiablement basculer. De vie à trépas, de matière à poussière, d'être à néant, une simple seconde suffisait pour tout changer.

L'averse s'intensifia. Frappant le carreau avec fougue, elle crépitait contre cette dernière comme une bûche se consumant dans l'âtre ; je n'avais qu'à fermer les yeux pour voir les flammes danser, pour sentir l'hêtre brûler. Jadis, quand j'étais encore enfant et que Léo n'était pas né, je me postais toujours devant l'âtre pendant que les grands conversaient autour de leur apéritif. Ils déblatéraient sur le travail qu'ils quittaient, ainsi que sur celui qui les attendait sitôt le Nouvel An fêté, et je rêvassais, bercée par cette douce chaleur qui enveloppait mon corps. Ensuite, mon grand-père nous invitait tous à passer à table pour les entrées et, avide de déguster les gambas accompagnées de mayonnaise fraîchement préparée, je délaissais mon âtre, ce petit coin où la solitude n'existait jamais tant l'imagination y abondait, et grimpais sur une chaise, l'attention accaparée par les crustacés à défaut d'avoir quelqu'un à qui parler.

— Du... mas ?

La voix encore faible, éraillée par les gonflements qui avaient manqué de l'étouffer, Devlin se réveillait, étonné. Pourtant, rien n'était plus sensé que ma décision de rester. L'abandonner dans cette chambre d'hôpital serait revenu à clamer haut et fort notre mensonge. Et puis, même si cela me coûtait de l'admettre, je lui en devais une. Après tout, même si j'ignorais ses motivations, il avait veillé sur moi ce soir-là ; puis cette soirée-là ; puis en restant avec moi à l'hôpital tandis que j'attendais mon père. Je lui devais bien de rester avec lui aujourd'hui.

De l'effrénée course des gouttes de pluie, mes yeux glissèrent à Devlin. Affublé de cette ridicule blouse bleue dont seul le drap fin sous lequel il se reposait préservait son derrière dénudé, il émergeait lentement, piteusement, recollant les morceaux du puzzle l'ayant mené à cette désastreuse condition.

— Tiens..., répondis-je. La Belle au bois dormant se réveille ?

— Très drôle, grogna-t-il.

Mon corps répondant à la direction de ma tête, je descendis mes jambes du fauteuil et me rassis décemment face au lit.

— Tu n'as pas perdu ton sens de l'humour, dis-je. C'est bon signe.

Étouffant sans succès un grognement, Devlin, dont les muscles encore affaiblis rechignaient à la tâche, releva son lit et s'assit. Satisfait de sa position arguant le retour factice de ses forces, il s'enquit :

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Un merci t'arracherait la langue, hein ?

De son visage renfermé, il me dédia un sourcil haut. Alors, ne prenant pas la peine de réprimer le soupir qu'il m'inspirait, j'expirai et lui rappelai :

Tel est pris...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant