Chapitre 2

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Le carrosse continua sa route à travers le domaine, longeant des bosquets sombres et des étendues d'herbe à peine visibles dans la brume. À mesure qu'ils s'enfonçaient plus loin dans la propriété, Peter distinguait les formes vagues d'autres bâtiments, des hangars, des écuries, et enfin, au fond du domaine, la maison des domestiques.

C'était un bâtiment austère, en pierres brutes, bien plus modeste que le manoir principal, mais imposant par sa simplicité. Les fenêtres étaient étroites et la façade recouverte de lierre, comme si la nature elle-même cherchait à étouffer l'endroit. Une lumière vacillante émanait d'une lampe à huile suspendue à l'entrée de la porte. L'atmosphère était lourde, comme si le poids des secrets du domaine pesait jusqu'ici.

À leur arrivée, les nouveaux domestiques furent accueillis par une femme d'allure sévère, vêtue d'une robe noire stricte, ses cheveux grisonnants tirés en un chignon impeccable. Lady Vickridge, la gouvernante du domaine. Elle se tenait droite, le regard impassible, balayant les visages fatigués des nouveaux venus avec une pointe de dédain.

-Bienvenue dans le domaine d'AshFord, Suivez-moi, dit-elle sèchement.

Elle les mena à l'intérieur de la maison des domestiques. L'endroit n'était guère plus accueillant à l'intérieur. Des couloirs étroits s'étiraient devant eux, éclairés à peine par des chandeliers fixés aux murs de pierre. L'air était froid et humide, le contraste était frappant avec la chaleur étouffante du carrosse. Lady Vickridge leur présenta rapidement les lieux, les dortoirs étaient de petites pièces partagées entre trois ou quatre domestiques, avec des lits rudimentaires faits de bois et de paille.

-Vous êtes ici pour servir, pas pour vous faire remarquer. Le Maître, Andrew Harrington est l'unique membre de la famille à occuper les lieux du domaine. Sa mère, la duchesse Margaret Harrington habite à Londres pour assurer ses fonctions mais vient régulier visiter son fils. Le maître n'a pas à vous voir ni même à savoir que vous êtes là. Soyez discrets et faites bien votre travail, c'est tout ce qu'on attend de vous.

Peter acquiesça en silence, intimidé par l'attitude sévère de Lady Vickridge.

Les autres domestiques, déjà installés, attirèrent l'attention de Peter par leurs comportements étranges. 

Ils observaient les arrivants, silencieusement, le visage dénué de toute expression.

Une jeune fille d'à peu près son âge, avec des cheveux châtains mal peignés et un regard malicieux, se tenait à l'écart. Lorsque leurs regards se croisèrent, elle lui adressa un sourire timide.

Après avoir assigné les dortoirs aux nouveaux arrivants, Lady Vickridge retourna auprès de Peter.

 La gouvernante l'observa longuement, ses sourcils froncés. Elle ne donnait pas cher sur l'avenir du jeune garçon au sein du domaine. Il était si maigre qu'il donnait l'impression qu'il serait emporté à la moindre bride de vent. Ses cheveux châtains clairs, en bataille sur son crâne lui donnaient un air miséreux et ses grands yeux bleus laissaient entrevoir une fragilité qui n'avait pas sa place entre ses murs de pierres. Mais ce que la femme ne manqua surtout pas de remarquer, c'était sa beauté juvénile étincelante et sa peau laiteuse. La gouvernante, malgré les dures années au sein du domaine qui l'avaient endurcie, avait encore suffisamment d'empathie pour assigner le jeune garçon à une tâche loin du domaine principale et du Maître.

-Je connaissais ta tante Agnès, nous avions travaillé dans une même demeure par le passé, dit-elle finalement. Elle m'avait dit que tu avais l'habitude de conduire les chevaux là-bas, dans le comté de Summerset. Le vieil écuyer du domaine, Monsieur Blackburn, se plaint régulièrement de manquer d'aides dans les écuries. Tu seras attitré à la tâche de palefrenier. Tu t'occuperas de nettoyer les chevaux du domaine et les box. En seras-tu capable ?

Peter, surpris, sentit une vague de soulagement le traverser. Travailler avec les chevaux était tout ce qu'il avait espéré, même si cela revenait à ramasser le crottin.

-Merci Madame, dit-il simplement, reconnaissant.

La gouvernante observa le jeune homme quelques instants, une expression énigmatique sur le visage.

-Ne me remercie pas encore, répondit-elle froidement. L'écuyer te dira quoi faire. Fais bien ton travail, ne t'attire pas d'ennuis. Il n'y a pas de place pour l'erreur ici.

Lady Vickridge tourna les talons sans un regard pour le garçon, retrouvant ses devoirs qui l'attendaient dans le domaine.

Après sa discussion avec la gouvernante, Peter se rendit aux écuries, de l'autre côté du domaine. De longues distances séparaient chaque bâtisse, le jeune garçon espérait ne pas devoir faire des va-et-vient entre elles s'il ne voulait pas mourir d'épuisement.

Un homme dans la cinquantaine, grisonnant, au visage tanné par les années passées à l'extérieur, brossait un magnifique pur-sang noir. Peter n'avait jamais vu un cheval aussi majestueux, il en était bouche bée.

L'homme portait des vêtements usés par le travail, et un béret vissé sur sa tête. Monsieur Samuel Blackburn, l'écuyer de la famille Harrington.  Il se redressa lorsqu'il aperçut Peter, le toisant de haut en bas, ne cachant pas une amère déception sur son visage.

-Je demande de l'aide et ils m'envoient un gamin maigrichon ? Grogna l'écuyer, d'une voix grave.

Peter ignora la remarque désobligeante du vieil homme et se contenta de regarder le bout de ses bottes usées, comme s'il s'excusait pour sa simple présence.

-Bon, on fera avec. Ici, tu nettoieras le crottin des chevaux et les équipements. Pour un jeune de la campagne, travailler dans ce domaine représente ce que tu pourrais espérer de mieux dans cette vie. Tu en as conscience ?

Peter hocha la tête, ne sachant que répondre. Il n'était pas sûr que de nettoyer les écuries soit réellement une grande opportunité, mais il préférait de loin cette tâche à toute autre dans ce domaine qui lui paraissait de plus en plus terrifiant.

-Tu dois veiller à ne pas te faire remarquer, surtout par le Maître. Le duc... enfin, le futur duc, Andrew Harrington, il a un profond mépris pour les bas de naissances, expliqua l'écuyer. Garde ta tête baissée et tout ira bien.

Peter ne répondit rien, se contentant d'écouter attentivement. Il avait bien compris depuis son arrivée dans le domaine qu'il valait mieux rester dans l'ombre.

Monsieur Blackburn s'approcha un peu plus de lui, baissant la voix comme pour partager un secret.

-Moi, ça fait des années que je travaille pour cette famille. J'ai vu beaucoup de choses, des bonnes comme des mauvaises. J'espère qu'après l'investiture d'Andrew Harrington, je pourrais enfin obtenir quelque chose de mieux après toutes ces longues années de dur labeur. Ce que tu dois ne surtout jamais oublier, c'est, tu vois ce sublime pur-sang ? C'est le cheval du Maître, et ici je suis la seule et unique personne en charge de l'habiller, compris ? Toi, tu te contentes de ramasser le purin, compris ?

L'écuyer termina sa phrase en appuyant son index contre le torse du garçon, l'air menaçant. Peter avala difficilement sa salive, et hocha à nouveau la tête, résolu à ne jamais franchir cette limite.

L'amant du Marquis Où les histoires vivent. Découvrez maintenant