Chapitre 12

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Madame  Vickridge traversa les couloirs des quartiers du Marquis, d'un pas effréné. Elle se demandait bien pour quelle raison le Maître l'avait fait venir au beau milieu de la nuit.  Elle travaillait depuis de nombreuses années pour le Marquis et savait d'expérience que ce comportement n'annonçait rien de bon.

Elle frappa à la porte de la salle des bains pour annoncer sa venue.

-Entrez Lady Vickridge.

La voix du Maître, grave et autoritaire s'éleva derrière la porte.  La gouvernante passa le pas de la porte, toujours la même expression imperturbable sur le visage, même lorsqu'elle vit son Maître allongé, entièrement nu, dans son bain. Le corps sculptural du marquis était l'une des choses les plus impressionnantes que la femme ait pu voir dans sa vie de gouvernante.  La chaleur était presque insupportable, de la vapeur épaisse envahissait la pièce. Le visage du noble, basculée en arrière, reposait sur le rebord du bain. Ses yeux étaient couverts par une serviette humide, le marquis tenait entre ses doigts un épais cigare.  

-Que puis-je faire pour vous Monseigneur ?

Le noble tira une bouffé sur son cigare avant de répondre.  Une domestique entra dans la pièce pour apporter un nouveau sceau d'eau chaude dans le bain du marquis.

-Envoi un garde chercher discrètement le palefrenier dans les écuries. Je l'ai laissé pour inconscient.  Amène le dans une des chambres d'amis du manoir, assure-toi de ne pas éveiller la curiosité des autres domestiques.  Et fais appeler un médecin, il est blessé. Exempte-le de travail jusqu'à son rétablissement.

Un frisson d'angoisse parcourut Lady Vickridge. Elle n'ignorait rien du mode de vie de son Maître, elle n'en avait vu bien plus qu'elle ne l'aurait voulu durant ces dernières années. La gouvernante avait appris avec le temps à être sourde et aveugle lorsque son devoir lui demandait. Parmi tous les domestiques du domaine, Lady Vickridge était celle qui craignait le moins le marquis. Elle travaillait pour les Harrington avant même la naissance d'Andrew. Elle l'avait vu devenir un grand et beau jeune homme qui avait fini par se laisser pervertir par les plaisirs des nobles de son âge.

Lady Vickridge connaissait chaque faiblesse de son Maître, qu'elle ne percevait jusqu'ici que comme un simple jeune aristocrate qui aurait rêvé d'une vie libre de toutes ces écrasantes responsabilités. Mais la gouvernante ne reconnaissait plus le marquis depuis son retour de Crimée. Elle lui avait alors découvert une sombre cruauté, dont il n'avait jamais fait preuve jusque-là. La gouvernante l'avait surpris plus d'une fois, corriger ses domestiques, plus que de raison. Elle entendait aussi les hurlements de son Maître lorsque ce dernier cauchemardait dans son lit. Lady Vickridge voyait son Maitre s'enfonçait chaque jour un peu plus dans la dépravation, le vin et l'opium, essayant désespérément de combler le gouffre que la guerre avait creusé à l'intérieur de son âme.

La gouvernante avala difficilement sa salive lorsqu'elle imagina le frêle garçon subir les assauts de son Maître. C'était inhabituel de la part du marquis d'envoyer un médecin pour l'un de ses compagnons de fortune. Lady Vickridge redouta de découvrir l'état du garçon qui devait être alarmant.

-Bien, Monseigneur, j'envoie de suite un garde le chercher.

La gouvernante chassa de son esprit les images de sa pauvre tante, Agnès, qui lui avait confié son neveu dans l'espoir de lui offrir un avenir meilleur. Lady Vickridge ne pouvait se permettre de se laisser aller à ses émotions. La compassion n'avait pas sa place dans le domaine.  Seul son obéissance envers son Maître comptait.  La gouvernante s'inclina devant le marquis avant de tourner les talons pour s'atteler à sa mission. Elle s'interrompit lorsque le noble la rappela à nouveau. Surprise, elle se tourna vers lui.

-Encore une chose Lady Vickridge, à partir de maintenant, gardez un œil sur cette chose et rapportez-moi le moindre événement le concernant.

Lady Vickridge acquiesça à nouveau, avant de quitter définitivement la pièce.

Oui, elle le sentait, la vieille malédiction de la famille Harrington était sur le point de se répéter.

L'amant du Marquis Où les histoires vivent. Découvrez maintenant