Camélia

Chapitre 34

Le lendemain de cet événement quelque peu surprenant, l'atmosphère était tendue entre Victoria et moi. Elle ne m'a pas adressé la parole depuis ce matin et je ne comprends pas son comportement.

Justine m'a conseillé d'aller lui parler pour régler ça, elle m'a fait toute une analyse sur le fait d'ignorer quelqu'un pendant quelques heures qui évolueraient en quelques jours et se transformeraient en une torture psychologique qui viserait à me faire mal en me rendant invisible à ses yeux jusqu'à tomber dans l'abus émotionnel.

Croyant dur comme fer à son petit discours et ne supportant pas non plus cette atmosphère entre elle et moi, j'ai cherché Victoria dans la cours du lycée à la pause de quinze heures, pour discuter. Apparemment elle ne m'ignorait pas seulement mais se cachait aussi. Je la trouve finalement à l'extérieur du lycée, dans le coin des fumeurs. Je prends son bras et la tire à l'intérieur, dans un coin isolé du lycée, à l'abri des regards indiscrets.

- Tu fumes maintenant ? Lui demandé-je quelque peu agacée.

- Bien sûr que non, et de toute façon je fais ce que je veux Camélia, tu m'as rien à me dire.

- Tu es ce que tu fréquentes, c'est toi qui vois. Mais de toute façon tu as raison, ça ne me regarde pas.

Nous étions l'une en face de l'autre, mais personne ne parlait maintenant. Victoria était clairement contrariée, et ses yeux reflétaient un mélange de colère et d'incompréhension. Mais pourquoi ?

- Alors tu m'expliques pourquoi tu ne veux pas me parler depuis ce matin ?

Elle ne me répond pas et continue de me fixer tout en croisant les bras. J'attends. J'attends encore avant de souffler. Bon, je l'ai déjà forcée à venir ici, je ne vais pas non plus la forcer à me parler si elle n'en a pas envie. Je me retourne, prête à partir quand j'entends sa voix, mettant fin à ce silence.

- Pourquoi t'as préféré faire le trajet avec elle plutôt qu'avec moi ? Pourquoi tu m'as pas dit que t'avais une copine ? Me lance-t-elle d'un ton accusateur.

La situation me semblait presque irréelle, et une pointe d'amusement s'immisçait en moi. C'est elle qui est partie mais c'est à moi qu'elle reprochait de ne pas l'avoir suivie ? Je ne pouvais m'empêcher de rire. C'était une réaction nerveuse qui me permettait sûrement de briser la tension qui régnait autour de nous, et de relâcher un peu la pression. Victoria me fixait plus intensément avec ses grands yeux, croisant les bras visiblement agacée.

- Pourquoi tu ris ? Tu te fous de moi en plus ? Demanda-t-elle irritée.

Je pris une profonde inspiration pour reprendre mon sérieux, je ne contrôlais malheureusement pas mes rires mais je comprenais qu'ils pouvaient la blesser.

- Je ris parce que ce n'est pas ma copine, il y a eu un malentendu, répondis-je d'une voix calme.

Son visage exprime maintenant une confusion totale.

- Alors pourquoi elle t'a embrassée ?

- Je ne sais pas, et je ne sais pas non plus pourquoi tu me fais une crise de la sorte mais je ne suis pas avec elle Victoria.

Elle est à présent en pleine réflexion, et pendant qu'elle est plongée dans ses pensées, j'imagine les engrenages de son cerveau s'animer avec rapidité, tournant à plein régime pour traiter la situation.
Son visage reflétait toute sa perplexité, elle était très expressive aujourd'hui. Mais malgré son état, et après quelques secondes elle s'approche de moi et pose tendrement ses pouces sur mes lèvres, les frottant délicatement comme pour les nettoyer des traces de ce baiser qui l'avait tant perturbée. Et chaque caresse provoquait des sensations étranges en moi.

- Je ne veux pas que tes lèvres soient salies, murmure-t-elle en accordant une attention particulière à ma bouche qu'elle s'efforçait d'essuyer, comme si elle voulait la préserver de toute impureté.

- Victoria, il n'y a rien à nettoyer, affirmé-je en prenant doucement ses mains pour l'arrêter, avant de déposer un baiser sur le dos de celles-ci.

Elle semblait déconcertée, et moi aussi. Ses gestes étaient d'une tendresse inattendue. Je passais mes bras autour de sa taille, effectuant une légère pression dans son dos pour qu'elle soit un peu plus près de moi. Et je pouvais sentir son parfum délicat qui émanait d'elle. Et nos visages se rapprochaient inévitablement, nos souffles se mélangeant doucement.

- Je ne voulais pas voir tes lèvres souillées, murmure-t-elle en à nouveau, prenant mes joues entre ses mains, cherchant mes yeux des siens.

Un sourire se dessine sur mon visage en entendant ses paroles, alors qu'un mélange d'émotions me submergeait. C'était trop chou. Cette délicatesse était surprenante, cette préoccupation si sincère. J'avais chaud au cœur, bien consciente d'avoir quelqu'un d'aussi attentionnée qu'elle.

Plongeant mon regard dans le sien, j'étais captivée par l'intensité de ses yeux. Ils s'étaient assombris mais étaient toujours aussi jolis. Nos visages se rapprochaient encore un peu plus, partageant nos souffles. Nos lèvres semblaient presque sur le point de se toucher, et je scrutais toujours les yeux de Victoria, cherchant une permission, un signe qu'elle voulait la même chose que moi. Ses pupilles brillaient d'une lueur que je ne connaissais pas. J'avais vraiment envie de l'embrasser, là maintenant. Nous étions si proches, nos lèvres étaient séparés par une petite, toute petite distance. Le désir de les sentir contre les miennes devenait presque douloureux. Les battements de mon cœur résonnaient dans mes oreilles.

- Camélia... laissa-t-elle échapper de ses lèvres, son souffle chaud frappant ma bouche.

Ses doigts caressant ma mâchoire, c'était dur de résister. Nos lèvres se refusant encore ce contact. Nous restions comme ça, suspendues dans cette proximité qui me retournait le cerveau, nos regards plongés l'un dans l'autre. J'avais tellement envie de ses lèvres, mais nous étions toutes les deux figées, captivées par l'incertitude de ce moment plus que délicat. Les secondes s'étiraient, et cette attente devenait insoutenable. Ses lèvres effleurant à peine les miennes.

Finalement, un sourire se dessina sur les lèvres de Victoria, dévoilant toutes ses dents et brisant par la même occasion la tension qui nous entourait.
Je pouvais voir dans ses yeux la même attente, la même excitation que je ressentais en moi. Dans ce sourire complice, j'ai vu cette envie mutuelle tant espérée, l'invitation à sceller nos lèvres.

Et alors que je fermais les yeux, prête à caresser ses lèvres des miennes, mon cerveau s'est brusquement réveillé. Mon foutu cerveau. Une pensée claire et nette a traversé mon esprit : Gabriel. Ce putain de Gabriel.

Je me suis retirée brusquement, envahie par un profond sentiment de culpabilité. Comment j'avais pu me laisser emporter à ce point ? Je me sentais vraiment stupide.

- Camélia ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Fronce-t-elle les sourcils d'incompréhension.

- Victoria, on ne devrait pas. Je ne sais pas ce qu'il m'a pris. T'as déjà quelqu'un, et je ne veux pas causer de problèmes entre vous.

Elle semblait surprise, se rappelant peut-être de Gabriel maintenant. Elle se cachait le visage avec ses mains, comme si elle se trouvait idiote ou se reprochait d'avoir commis une erreur. Un silence pesant s'installe.

- On fait quoi ? Demande-t-elle après quelques minutes.

- Comment ça, "on fait quoi" ? Vic, y'a rien à faire là.

Et la sonnerie retentit.

- Je vais y aller, on se voit plus tard ? Lui demandé-je  en déposant un bisou sur sa tempe.

- Oui oui, dit-elle un peu ailleurs.

Et je l'étais aussi. Purée mais qu'est-ce que j'étais sur le point de faire ?