~ Chapitre 1.7 ~

73 7 2
                                    

Julien et Stella

Jour J

Vendredi 10 février 2023

Il y a ce bar. Le PMU. C'est comme ça que Julien l'appelle. Ce n'est pas comme ça qu'il s'appelle en réalité. Mais Julien en parle en disant « Le PMU ». Il doit avoir un nom un peu beauf genre « Le Flash ». Il est sur la rue Lepic. Juste une rue en dessous de la rue Véron. La devanture est toute rouge, plutôt foncé, le rouge. Il y a beaucoup de baies vitrées. On devine facilement l'intérieur depuis le trottoir d'en face. Il n'est pas très grand, le PMU. Tout étriqué. On y circule difficilement. Les clients restent debout au comptoir. C'est pour ça qu'on se bouscule et que les embouteillages sont fréquents. La musique est un peu forte, mais pas au point de devoir hausser la voix pour s'entendre. Il y a des cartes collées au plafond. Des cartes d'un jeu de cartes. Des valets. Des rois. Des piques. Des trèfles. Il y a une télé aussi. Mais l'écran est figé sur un message d'erreur. ERREUR 404 – le signal n'a pas pu être détecté. On ne sait pas trop à quoi elle sert. Elle est grande pourtant. Et elle prend de la place donc son utilité est questionnable. Peut-être qu'ils diffusent des matchs quand elle marche. Il n'y a pas beaucoup de tables pour s'asseoir. Sur l'une d'elles sont posés des jeux de société. Un plateau d'échecs ou de dames en bois clair. Et d'autres jeux inconnus au bataillon. Il y a des néons aussi. Roses. Fixés sur les recoins du plafond. Étonnamment, ça repose les yeux, cette ambiance tamisée.

Quand je suis arrivée devant, j'ai oublié de regarder comment il s'appelait, le PMU. L'impatience d'y retrouver Julien. La nuit noire déjà tombée. Et mes lunettes, je les avais laissées sur le rebord du lavabo de ma salle de bain.
J'ai toujours eu un problème de ponctualité. Je ne sais pas arriver à l'heure. Les colis piégés. Les imbéciles qui descendent sur les voies. Citymapper qui se trompe d'itinéraire. On ne sait jamais ce qu'il peut se passer en chemin. Sauf qu'il n'y a jamais de colis piégés. Et que Citymapper ne se trompe jamais. Donc j'arrive toujours avec quinze minutes d'avance.
Julien déteste les gens en retard. Il n'est jamais en retard. Jamais en avance. Enfin non. C'est faux. Une fois il est arrivé en retard à l'un de nos dates. Il a prétexté que c'était la faute du métro. Mais c'est 100 % sûr que c'est lui qui était parti en retard. Toujours est-il qu'il a cette capacité qui lui permet de calculer le timing nécessaire pour arriver exactement à l'heure.

Il était 19 h 29 et je ne savais pas trop si Julien était déjà là. Dehors. À l'intérieur du PMU. Ou en chemin.

Julien et moi, on ne devait pas aller ici initialement, au PMU. On devait aller loin. Pour faire métro à part, et rentrer chacun chez nous ensuite. Mais on était vendredi. Il faisait froid. La semaine avait été longue. On vivait à 800 mètres l'un de l'autre. Et, d'un commun accord, on s'est dit que c'était quand même plus simple de se retrouver dans le quartier. On s'est promis de ne pas enfreindre la règle et que chacun rentrerait chez lui ensuite. J'ai très envie qu'on brise le pacte. Et j'imagine que Julien... Julien ne sait pas trop ce qu'il veut de son côté. Forcément il a dû y penser, à ce qu'on passe la nuit ensemble. Mais lors de nos précédentes retrouvailles, je lui avais dit ce « J'ai compris que tu n'étais revenu que pour le sexe, et ça m'embête d'avoir l'impression que même pour ça, je suis la seule à avoir envie de toi ». Julien l'avait mal pris. Que je puisse penser ça. Que je puisse croire qu'il m'avait jetée après avoir obtenu ce qu'il était venu chercher. Peut-être que son intention n'était pas celle-là. Mais, dans les faits, c'était exactement ce qu'il s'était passé : il était revenu, on s'était revu, le lendemain il avait disparu et ne m'avait plus parlé comme si je n'avais jamais existé.

Julien sait que la manière dont il gère ses relations est merdique. Et il sait que malgré ses efforts, ses skills en communication sont déplorables. Il a cette insupportable tendance à se planquer derrière le silence pour faire comprendre ce qu'il ne dit pas. C'est dur d'interpréter le silence pour traduire ce que les gens ne verbalisent pas. On peut faire des hypothèses bien sûr, mais on tombera forcément à côté de ce qu'ils pensent vraiment. Julien ne se tait pas pour protéger les gens, ou pour les préserver d'une vérité qui les blesserait. Julien se tait parce qu'il ne sait pas faire autrement. Il donne l'impression de prendre la solution de la facilité en ne parlant pas, mais il s'est terré dans le silence et a fini par en devenir captif.

La Fille du livreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant