~ Chapitre 2.2 🚌 ~

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Il y a une nouvelle affiche sur l'abribus. Celui à l'angle du Quai Branly et de l'avenue de la Bourdonnais. Il mène à la Gare Saint-Lazare, le bus 42. Je ne l'ai jamais pris, mais je le sais parce que je passe tous les jours devant. Parfois, ça m'arrive de voir ce bus, mais c'est rare car ses arrêts ne sont pas très fréquents. C'est le genre de bus qui passe toutes les 26 minutes et que l'on rate pile le jour où on a besoin de le prendre. Alors on se rabat sur un autre itinéraire parce qu'on ne peut pas attendre le prochain passage, dans 24 minutes. Qui attend les bus devant un abribus pendant 24 minutes sérieusement ?

Je vis au numéro 54 du Quai Branly. Je ne vis pas chez mes parents. Disons que ma configuration familiale n'est pas conventionnelle. Je ne suis pas orpheline, mais il n'y a plus de parents dans le paysage. L'un des deux est hors-champ. L'autre a élu domicile dans le ciel. Je vis dans un grand appartement avec vue sur la tour Eiffel. Je n'ai jamais vécu dans les beaux quartiers. Je viens de la campagne où il fallait faire trente minutes de marche à pied pour trouver une boulangerie ouverte. Mais je me retrouve avec les clés d'un appartement de 200 m2, et même si c'est évidemment le pied de regarder la tour Eiffel scintiller à la nuit tombée, je me sens seule.

Il y a une nouvelle affiche sur l'abribus. Celui à l'angle du Quai Branly et de l'avenue de la Bourdonnais. Je m'en suis aperçue en rentrant du Champ-de-Mars où j'ai passé l'après-midi à bouquiner. C'est une publicité pour Bumble. Écriture noire sur fond jaune. Ça dit Fais le premier pas. Et puis c'est tout. Je l'ai vue sans la regarder ce jour-là, mais le lendemain, l'affiche était toujours au même endroit. Au fil des jours, je suis ainsi devenue victime d'une campagne marketing plutôt efficace.

Je ne suis pas influençable. Enfin non, c'est faux, je suis très influençable. Je demande toujours leur avis à 20 personnes qui me font changer 19 fois de décision. Parce que je doute. De moi. De la pertinence de ce que je pense. De mon intuition. Donc j'expose mes problèmes à d'autres pour me dédouaner de la responsabilité d'avoir à trancher. Pour des trucs aussi futiles que la couleur d'une police sur un Powerpoint, ce n'est pas très grave. Mais parfois, il arrive que je doive prendre des décisions plus importantes, plus structurantes pour ma vie, et plutôt que de prendre deux minutes pour me demander ce que je veux, je soumets ma situation à d'autres gens. Bienveillants, les gens. Mais, forcément, ils donnent des conseils en fonction de ce qu'eux choisiraient, et ça tombe souvent à côté de ce que j'aurais envie de faire si je m'écoutais. 

En dehors de tout ce qui concerne ma vie, je ne me laisse pas influencer. Ni par les annonces sponsorisées sur YouTube ni par les publicités dans le métro. En temps normal, je suis complètement hermétique à ces parasites, mais l'affiche jaune et noire à l'arrêt de bus est là. Je la vois tous les jours. Plusieurs fois par jour. Et je suis seule. Je vais avoir 24 ans dans un mois. Je n'ai jamais eu de copain, je ne suis jamais tombée amoureuse, et pour la première fois, le 2 août, ça m'a préoccupée. Alors je me suis laissé influencer.

Si vous ne connaissez pas Bumble, c'est une application de rencontres. Pareil que Tinder. À la différence près que, sur Bumble, les filles doivent envoyer le premier message. D'où cette pub, Fais le premier pas, directement ciblée pour inciter les âmes errantes qui passaient leur été seules à Paris à combler l'ennui et la solitude en téléchargeant Bumble. Est-ce que c'est ce que j'ai fait après être passée pour la sixième fois devant l'abribus ? Absolument. Influençable, moi ? Si peu. 

La Fille du livreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant