Ugo est blond aux yeux bleus. Non attendez. Changez la couleur du blond que vous venez de visualiser. Ce n'est pas un blond platine norvégien ou teinte surfeur hawaïen, c'est un blond foncé, presque châtain. Ugo fait 1 m 74. Je n'ai pas un compas dans l'œil, il l'avait juste indiqué sur Bumble. Il est Bélier. Je ne suis pas non plus calée en signes astrologiques, mais, ça aussi, il l'avait mis dans sa bio. Je suis Vierge. De septembre. 11 septembre. Et je vais avoir 24 ans dans un mois. Alors que Ugo en a 30. Déjà 30.
— Salut, j'ai répondu alors qu'il venait de s'asseoir en face de moi.
Ok. Pas de bise. Pas d'accolade. Pas de poignée de main. Distanciation sociale. Le mec s'assoit.
— Tu es là depuis longtemps ?
— Non, non je viens d'arriver.
Quelle mytho.
— Ça ne te faisait pas trop loin depuis Boulogne ?
— C'était parfait, j'ai juste remonté la ligne 9. Tu lis quoi ? a demandé Ugo en pointant du regard le livre que j'ai posé sur la table quand il est venu me sauver de ma tornade de questions.
— Le Maître et Marguerite.
Il aime les livres ? Est-ce qu'il connaît ?
— C'est de la littérature russe ça, non ?
Le jeune homme est calé.
— Oui.
Est-ce qu'il faut que je développe ?
— Tu aimes bien ?
— C'est un peu dur de rentrer dedans parce qu'il y a deux histoires parallèles à deux époques différentes, et le burlesque se mêle au fantastique. Mais c'est bien écrit.
Tu parles trop Sté. Rattrape le coup. Pose-lui une question.
— Tu lis un peu toi ?
— Beaucoup en été, mais très peu le reste de l'année. Je cherchais justement quoi emporter avec moi avant de partir.
— Tu pars cet été ?
— Oui, je vais dans la région des lacs avec des amis.
— En Italie ?
23 ans d'existence, et pour la première fois les cours de géographie servaient à quelque chose.
— Oui ! On va faire un road trip. On a prévu de partir de Milan et de commencer par le lac de Côme. Tu connais un peu ?
Absolument pas.
— Je suis allée à Rome pour le nouvel an. Mais je ne connais pas vraiment l'Italie du Nord.
— Moi non plus, ce sera ma première fois.
La conversation était lancée. Plutôt bien lancée. Et Ugo était cool. Plutôt cool. On a continué à parler de nos plans pour l'été, des voyages qu'on avait déjà faits. Les lieux ont cette capacité à tisser du lien entre deux inconnus qui devraient n'avoir rien en commun. Alors on a poursuivi l'itinéraire de notre rencontre en écrémant tous les sujets classiques qu'on balayait à un premier date : le travail d'Ugo, son envie de changer de job parce qu'il ne voulait pas être muté à Nottingham, ses déplacements hebdomadaires à Londres, ses péripéties avec l'Eurostar, notre arrivée commune à Paris en 2009, la préparation de son Ironman, Strasbourg où il avait grandi, le marché de Noël, les Noëls avec sa famille recomposée, ses demi-frères, ses neveux. Puis Ugo a fini par regarder sa montre. Et l'heure était déjà passée. Il était 13 h 30. Il devait filer en réunion. Alors il s'est levé pour aller payer à l'intérieur. J'ai proposé qu'on divise la note. Mais il a refusé. J'ai insisté devant le serveur qui ne savait pas qui de nous deux il devait écouter. Ugo a dégainé sa carte bleue et l'a posée sur le terminal. Le sujet s'est clôturé de lui-même au moment où le ticket de caisse est sorti de la machine. Il m'a tenu la porte et je l'ai raccompagné jusqu'à la bouche de métro. Cette fois, Ugo m'a fait la bise et il a descendu les escaliers avant de disparaître dans les souterrains de la station Trocadéro.
J'ai pris une demi-seconde pour figer le temps au milieu des passants pressés qui se hâtaient sur la place. J'ai passé en revue l'heure qui venait de s'écouler pour me demander 1) si j'avais survécu 2) si j'avais l'impression de lui avoir plu 3) si ça s'était globalement bien passé 4) si je devais lui envoyer un message 5) s'il allait avoir envie de me revoir. Mais mon portable s'est mis à vibrer dans mon sac.
Un texto.
C'était Julia.
ALOOOOORS ???????
Quelle commère celle-là ! Je reconnaîtrais les textos de Julia entre mille. On pouvait l'entendre les prononcer tellement elle abusait des majuscules, de la ponctuation et des lettres dupliquées coooomme ça pour montrer son enthousiasme. Julia est la petite sœur dont n'importe qui rêverait, mais c'est surtout la petite sœur que je n'aurais jamais dû avoir.
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La Fille du livre
RomanceStella est une utopiste qui aspire à mener une vie comme dans les romans d'amour qu'elle écrit. Mais un passé tumultueux, un manque de confiance en elle, une peur de s'ouvrir aux autres, et on en arrive à 23 ans d'existence sans être jamais tombée a...