~ Chapitre 3.1 ~

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Notre premier date 


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Julien

Quinze ans plus tôt 


Dès son plus jeune âge, l'enfance de Julien a toujours été mouvementée. Il avait beaucoup bougé. D'un endroit à un autre, d'une ville à une autre. Entre sa naissance et son entrée au lycée, Julien avait déménagé 13 fois. 13 villes, 13 maisons, toujours dans un rayon de 50 km autour de Lyon. Il avait grandi en apprenant à ne pas s'attacher aux endroits parce qu'il savait n'être que de passage, pour un an ou deux tout au plus, jusqu'à ce que ses parents lui disent que, cette fois encore, ils devaient partir pour aller vivre ailleurs.

Très tôt, Julien avait compris que sa vie serait ponctuée par l'impermanence. Des lieux. Des choses. Des autres. Certains redoutent d'être abandonnés, Julien savait que c'était toujours lui qui finissait par s'en aller. Il avait appris à ne pas s'investir pour ne pas avoir trop mal au moment où il faudrait partir. Julien avait mis du temps avant de vivre avec autant de détachement pour ne pas être impacté par les sables mouvants de son environnement. Il était passé par la tristesse de perdre des amis auxquels on tient. Par la colère de ne pas être assez grand pour s'opposer aux décisions de ses parents. Et, à force de voir le même schéma décevant se répéter, il avait fini par prendre la résolution inconsciente de fermer les volets de son cœur pour ne plus laisser personne y entrer.

***

La maison n°13 était située dans un lotissement de la petite ville de Béligneux. Entre Montluel et Dagneux. C'était sa maison préférée, la maison aux volets bleus. Mais, comme les fois précédentes, Julien savait qu'il ne pouvait pas s'y attacher parce que la conversation tant redoutée en rentrant de l'école allait finir par arriver, et l'épée de Damoclès allait à nouveau tomber. Il le savait. Et comme les douze fois précédentes, Julien devrait aller se coucher le cœur lourd de penser que les jours étaient à nouveau comptés avant de devoir annoncer à ses amis qu'il allait déménager.

Le 207 chemin des Bruyères. C'était l'adresse de la maison aux volets bleus de Julien. Il y avait emménagé au beau milieu de l'été 2005 après avoir quitté la douzième maison du trombinoscope des déménagements. Elle était grande cette nouvelle maison. Sur deux étages. Des travaux venaient d'être faits pour l'agrandir. Et les volets avaient été repeints en bleu lavande, de la même couleur que le portail en bois. D'ailleurs, il y en avait dans le jardin, de la lavande. Elle embaumait l'allée quand on la longeait pour accéder à la porte d'entrée.

Le jour de l'emménagement, quelque part entre juillet et août, les parents de Julien n'avaient même pas coupé le moteur que leur fils avait déjà détaché sa ceinture pour bondir hors de la voiture. Il avait couru le long de l'allée sur les petits graviers blancs et avait découvert pour la toute première fois la maison dans laquelle il allait s'installer pour les douze prochains mois. Peut-être plus. Peut-être moins. Ça dépendait surtout du travail de son père. Il n'était pas ambassadeur. Pas diplomate. Ni militaire. Non, son père était professeur. Mais pas un professeur traditionnel comme le serait un enseignant d'école primaire.

Richard était professeur remplaçant.

On en a tous vus passer dans notre scolarité, des professeurs qui n'étaient là que pour dépanner, qui venaient dans l'établissement pour une année, puis qui disparaissaient la suivante et dont on n'entendait plus jamais parler. C'était une profession peu répandue, mais très utile aux académies de l'Éducation Nationale qui se retrouvaient tous les ans avec des trous à combler dans les effectifs. Pour remplacer les congés maternité ou les arrêts maladie de longue durée. Le seul inconvénient, c'était qu'il fallait faire preuve d'une grande flexibilité pour accepter d'être muté tous les ans. Richard pouvait décliner les affectations, mais en vingt ans d'exercice ça ne lui était jamais arrivé parce qu'aussi instable qu'était ce rythme, il aimait le renouveau permanent qui lui donnait l'impression de faire table rase du passé pour repartir à zéro chaque année.

À la naissance de Julien, son épouse et lui s'étaient questionnés sur la viabilité de ce mode de vie. Mais les opportunités s'étaient enchaînées et Julien était de toute façon trop petit pour être affecté par ces déménagements répétés. À vrai dire, les premières années s'étaient même vraiment bien passées. Julien avait eu une petite sœur, Amanda, et ils étaient tous les deux à cette tranche de leur vie où leur cerveau d'enfant n'imprimait pas encore les événements dans les archives de leur mémoire. Alors ni les départs répétés, ni les petits bouts d'amitiés tissées puis brisées, ni les jouets dans des cartons que l'on fait et que l'on défait ne semblaient les avoir perturbés. Ils suivaient leurs parents et, comme son père, Julien avait pris goût au champ des possibles qui s'ouvrait à chaque déménagement. 

La Fille du livreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant