~ Chapitre 2.6 🐿 ~

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Stella

Toujours le même jour

(que le jour du date avec Ugo)

Mercredi 4 août 2021

Mokus l'Écureuil. C'est le nom d'un restaurant qui se trouve sur la place du Trocadéro. J'aime bien ce restaurant, parce que j'adore les écureuils.

Quand je vivais à la campagne, j'habitais dans une très grande maison sur deux étages. Chacun des six enfants avait sa propre chambre. Il y avait même une forêt derrière la maison. J'adorais notre forêt derrière la maison parce qu'après avoir arpenté le jardin, traversé le barrage des grands sapins, et longé le petit ruisseau, il y avait une colline. J'agrippais l'herbe avec mes petites mains pour la gravir et quand je réussissais à atteindre le sommet, je m'asseyais sur la butte pour regarder l'horizon. Je pouvais rester là des heures à rêvasser. C'était tellement paisible et silencieux. Parfois on entendait les avions passer dans le ciel. Je levais le bout du nez pour essayer d'imaginer les passagers derrière les hublots. Je me demandais où ils pouvaient partir en voyage pendant que je restais tout en haut de ma colline. J'aimais le calme tranquille de la nature.

Un matin, très tôt, alors que la nuit n'avait pas encore tiré sa révérence, j'avais entendu du bruit à la fenêtre de ma chambre. Je n'étais pas très téméraire et n'avais pas osé sortir de mon lit. J'ai toujours eu peur que des cambrioleurs s'introduisent dans la maison. Au petit-déjeuner, j'avais investigué auprès d'Alma, ma grande sœur qui dormait dans la chambre adjacente à la mienne, pour savoir si elle aussi elle avait entendu ce bruit. Mais Alma avait un sommeil de plomb alors ce n'était pas un peu de grabuge à la fenêtre qui risquait de l'avoir réveillée. Elle m'avait dit n'avoir rien entendu, mais que c'était sûrement les cambrioleurs qui faisaient du repérage pour préparer leur coup. Quelle vicieuse celle-là. Alma, comme tous les aînés d'une fratrie, adorait martyriser sa crédule de petite sœur que j'étais. Heureusement, j'avais aussi un grand frère très protecteur. Il me piquait sa place à 16 h 59 pour jouer aux Sims, mais Quentin m'adorait. Et même s'il avait presque le double de mon âge, il me défendait toujours. Il avait surenchéri sur Alma en me disant que, si le lendemain matin, j'entendais toujours du bruit à la fenêtre, je pouvais venir le chercher pour qu'il se charge d'aller regarder.

Quelque part entre 6 et 7 h, le bruit m'avait à nouveau réveillée. J'avais attendu quelques minutes pour m'assurer que mon imagination ne me jouait pas des tours mais, cette fois, j'étais sûre de moi. J'avais repoussé ma couette et avais abaissé tout doucement la poignée de la porte de ma chambre en gardant les yeux rivés sur la fenêtre. J'avais longé le couloir sur la pointe des pieds jusqu'à la chambre de mon frère. Il y avait un rayon de lumière sous la porte. Chouette, il était réveillé. J'avais toqué avec mon petit index replié et avais compté jusqu'à cinq dans ma tête. C'était la règle à la maison : d'abord on toque, ensuite on compte jusqu'à cinq, et si personne ne se manifeste, alors on a le droit d'entrer. En me voyant pousser la porte, Quentin avait mis sa partie de Pokémon en pause et s'était assis sur son lit pour me prendre sur ses genoux. Je lui avais dit que le bruit était revenu. Alors, bien déterminé à résoudre le mystère de la fenêtre, il avait attrapé ma petite main pour arpenter le couloir avec moi dans l'autre sens. Quentin s'était approché de la fenêtre en me faisant signe de rester près de la porte. La situation était sous contrôle. Il avait repoussé le rideau avec deux doigts et s'était finalement tourné vers moi pour me dire de venir le rejoindre. J'avais hésité, mais il m'avait fait un signe de la main pour que je m'approche. Je m'étais mise sur la pointe des pieds pour voir ce qu'il voulait me montrer, mais j'étais trop petite, alors il m'avait prise dans ses bras. J'avais alors aperçu un tout petit écureuil roux. Il avait longé le lierre de la façade de la maison pour s'installer sur le rebord de ma fenêtre. J'avais poussé un petit rire en mettant mon doudou devant ma bouche pour l'étouffer. Mais le petit écureuil nous avait vus, cachés derrière le rideau, alors il était parti à toute vitesse. Quentin m'avait reposé au sol en s'accroupissant à ma hauteur pour me dire : « Tu vois, il n'y a plus rien à craindre petit écureuil » en tapotant le bout de mon nez. J'était retournée me coucher. Je souriais en me demandant le prénom que j'allais donner au petit écureuil roux qui ferait son apparition dans le prochain chapitre de mon Skyblog.

***

Mokus l'Écureuil. C'est le nom d'un restaurant qui se trouve sur la place du Trocadéro. Je vis à côté de la station Alma-Marceau, Ugo travaille à Boulogne, et Mokus l'Écureuil est à la station Trocadéro. Tous les trois sur la ligne 9 du métro. Alors je lui ai proposé de se retrouver ici pour notre date déjeuner. Ça me rassurait d'aller dans un endroit que je connaissais.

Ugo est directeur marketing d'un groupe londonien spécialisé dans l'équipement sportif. Il travaille pour une filiale qui produit du matériel pour les nageurs. Ugo est lui-même très sportif. Il fait des triathlons et 40 km de vélo tous les week-ends. Il a couru 12 marathons et prépare son premier Ironman : 3,8 km de natation, 180,2 km de vélo, 42,195 km de course à pied. Rien que ça. Je ne suis pas très calée en la matière parce que je ne suis pas très sportive. J'ai fait 14 ans de danse, mais j'ai toujours eu un cardio déplorable, donc je fuie toutes les activités qui impliquent de courir. J'ai d'ailleurs toujours détesté le demi-fond en cours d'EPS. Le 3 x 500. En plein hiver. Sous la pluie. Qui a inventé ça sérieusement ?

Ugo ayant une réunion à 14 h, on s'est donné rendez-vous à 12 h 30. C'est bien. Le timing est bordé. Et au moins, le date ne s'éternisera pas si ça ne colle pas.

J'ai toujours eu un problème de ponctualité. Je ne sais pas arriver à l'heure. Je n'ai jamais su arriver à l'heure. Et aujourd'hui encore, j'ai quinze minutes d'avance. Je suis stressée. C'est mon premier date de toute ma vie, et je ne me suis jamais retrouvée dans une situation où je rencontre un inconnu qui va évaluer si je suis assez bien pour avoir envie de faire sa vie avec moi. Bon ok. C'est peut-être un peu exagéré. Le mariage et les enfants ne sont clairement pas pour tout de suite. Mais je ne suis pas sereine de savoir que j'ai une heure pour donner envie à Ugo de me revoir. D'autant que, tout le monde le sait, le seul objectif du premier date c'est de réussir à en obtenir un deuxième. Et les deuxièmes dates, c'est comme la deuxième année de médecine : beaucoup d'appelés, peu d'élus.

J'ai tergiversé entre la terrasse et l'intérieur, mais le serveur qui m'a interceptée alors que j'étais encore sur le trottoir m'a vendu cette petite table dehors, tout à gauche, à l'abri du passage, de la foule et des va-et-vient des clients. Je me suis installée sur la banquette et j'ai sorti de mon sac le livre que j'étais en train de lire. Juste pour me donner un air décontracté. Alors que je ne le suis évidemment pas et qu'une rafale de questions se télescope dans ma tête.

Est-ce qu'il va être comme sur ses photos ? Est-ce que j'ai mis assez de parfum ? Trop de parfum ? Comment on fait s'il y a un blanc ? Est-ce que j'aurais dû préparer une liste de sujets de secours pour relancer la conversation ? Est-ce que mon haut est trop décolleté ? Est-ce qu'il va me trouver intéressante ? Est-ce que je dois me lever ? Lui faire la bise ? Pas la bise ? Lui serrer la main ? Non. Weird. On n'est pas à un déjeuner pro. Mais on est encore en plein Covid et les gens n'aiment plus faire la bise. Est-ce que j'ai bien lancé la machine à laver avant de partir ? J'ai vraiment relu trois fois la même page sans en comprendre une seule ligne.

— Salut.

C'était lui. Ugo sans H. 

La Fille du livreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant