La Fille du livre

~ Chapitre 3.4 🚌 ~

Le mardi et le jeudi, Julien prenait le bus scolaire pour rentrer à la maison car M. Sullivan avait une réunion. Le trajet était un peu plus long qu'en voiture parce que 17 arrêts séparaient l'école du 207 chemin des Bruyères, mais Julien aimait bien le car Philibert. Ni le car ni le chauffeur ne s'appelaient Philibert, mais sur la carrosserie on pouvait lire « Philibert » avec de grandes lettres majuscules. Alors tout le monde l'appelait le car Philibert. En réalité, il y avait deux cars Philibert parce que bien plus d'élèves l'empruntaient pour rentrer chez eux qu'il n'avait de places assises.

Julien ne voulait pas avoir à attendre le second ramassage, alors il guettait la pendule à côté du tableau pour se tenir prêt à bondir de sa chaise au premier tintement de cloche. M. Sullivan était très ponctuel et il ne gardait jamais ses élèves au-delà de 16 h 30, parce que M. Sullivan finissait toujours juste à temps, juste à l'heure. Julien tenait ça de lui.

La couverture de Julien n'avait pas encore été démasquée et personne ne connaissait son nom de famille. Il avait donc pu s'éclipser de la classe en adressant un « À demain » à son père prof. Tous les autres élèves étaient encore en train de ranger leurs affaires quand il avait dévalé les escaliers pour s'assurer une place dans le car Philibert. Julien aime bien s'asseoir contre les fenêtres. Sauf dans les avions où il s'arrange toujours pour troquer sa place contre le hublot parce qu'il a le vertige. Julien a tellement le vertige qu'il évite même les grilles par terre. Vous savez, les grilles d'aération qui soufflent du vent quand on les traverse. À chaque fois qu'il les voit, il fait toujours un détour pour les contourner parce qu'il s'imagine le scénario catastrophe où elles s'effondrent.

En jetant un œil à l'allée centrale du car, le chauffeur avait estimé qu'il était assez rempli pour entamer sa tournée du jour. Il s'était rassis derrière son grand volant en démarrant le moteur. Julien s'était alors enfoncé dans son siège et avait sorti de son sac à dos le livre que son père lui avait acheté à la rentrée. Le livre dont vous êtes le héros. C'était une histoire fantastique comme il les aimait. À la différence près que c'était Julien qui décidait de la tournure qu'elle prenait. Il adorait la collection des Livres dont vous êtes le héros. Il en existait plusieurs tomes, mais le principe restait toujours le même : il fallait se munir d'un crayon pour les lire parce qu'à la fin de chaque chapitre on pouvait choisir entre plusieurs scénarios et, selon la porte que l'on décidait de pousser, il fallait se rendre à la page indiquée pour poursuivre l'histoire qui prenait alors une nouvelle dimension selon l'option choisie.

Julien adorait les livres dont il était le héros. Il aimait l'idée que la fin restait à écrire. Parce que c'était lui qui avait le pouvoir de choisir comment l'histoire allait finir.

Il avait fait défiler les pages avec son pouce pour retrouver là où il s'était arrêté quand il avait interrompu sa lecture la veille au soir. Julien avait pourtant glissé son crayon de papier en guise de marque-page, mais il avait dû tomber au fond de son cartable. Il ne se souvenait plus exactement où il en était. Quelque part au milieu du troisième chapitre.

Pourquoi le car ne démarre toujours pas ?

Julien feuilletait les pages, une à une, pour essayer de se souvenir s'il avait déjà lu ce passage-là. Mais ça ne lui disait rien. Alors il était retourné en arrière. Ah ! Voilà, page 122, c'était là.

— Je peux m'asseoir à côté de toi ?

Julien connaissait cette voix. Il avait levé le nez de son livre pour regarder par-dessus les sièges ce qu'il se passait deux rangées devant lui. Il avait reconnu les mitaines blanches. Le pull bleu canard. Le t-shirt jaune moutarde. Et le débardeur rose.

C'était Cassie.