~ Chapitre 3.6 🍪 ~

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Le lendemain matin, comme tous les matins, M. Sullivan avait demandé à Julien d'aller ouvrir le portail pendant qu'il démarrait la voiture garée dans l'allée. Mais ce matin-là, à la différence de tous les autres matins depuis la rentrée, Cassie était là. Sur le parvis de sa maison à elle. Elle avait fait un petit signe de la main à Julien pour lui montrer qu'elle l'avait attendu avant d'aller prendre le car Philibert. Cassie avait défait ses tresses. Ses cheveux blonds, encore ondulés de la veille, tombaient juste au-dessus de ses épaules. Elle portait un bonnet orange et avait à nouveau superposé un débardeur, sur un t-shirt à manches courtes, sur un pull à manches longues. C'était donc volontaire. Elle avait encore un petit sac en crochet qu'elle tenait en bandoulière. Mais il était bleu ciel cette fois-ci. C'était définitivement elle qui les faisait.

— Tu t'en sors fiston ? lui avait demandé Richard en voyant que son fils mettait du temps à revenir à la voiture.

Richard avait alors vu son élève traverser la route qui séparait sa maison de la leur. Dans un sursaut de surprise en voyant son professeur, Cassie avait lancé :

— Oh ! M. Sullivan, bonjour. Je... je voulais proposer à Julien de faire le trajet ensemble jusqu'à l'arrêt, mais je ne pensais pas que vous étiez son...

La couverture était grillée. Bien grillée.

— Je suis désolée, je ne voulais pas vous déranger, je vais y aller pour ne pas être en retard, avait annoncé Cassie qui se sentait toute gênée d'imaginer l'embarras de Julien qui restait, comme à son habitude, impassible.

— Viens donc avec nous, on aura bien plus vite fait le trajet en voiture.

Génial.

— Ça ne te dérange pas ? avait demandé Cassie, hésitante, qui n'arrivait pas à attraper le regard fuyant de Julien.

— Allez viens, c'est moi qui conduis de toute façon ! avait conclu M. Sullivan en reprenant le chemin jusqu'à sa voiture.

Cassie s'était installée sur la banquette arrière, dans la diagonale de Julien qui avait pris sa place habituelle sur le siège passager. M. Sullivan lui avait posé tout un tas de questions pendant le trajet jusqu'à l'école. Depuis quand elle était là. D'où elle venait. Quelle profession exerçaient ses parents. Si elle se plaisait à Béligneux. Julien n'avait pas parlé. Il avait fait mine de regarder par la fenêtre comme si cette conversation l'indifférait. Mais Julien avait écouté chacune des réponses de Cassie. Parce que même s'il ne les lui avait pas posées, elles l'intéressaient. Cassie l'intéressait. Mais il s'interdisait de la laisser s'approcher de trop près. Alors il adoptait cette attitude détestable pour la repousser. Elle allait bien finir par le lâcher.

Dans les mois qui avaient suivi, Cassie avait continué à s'installer à côté de Julien tous les jours en classe. Elle s'asseyait avec lui sur le petit muret contre les préfabriqués pendant la récréation. Elle mangeait avec lui tous les midis à la cantine. Cassie faisait souvent la conversation seule et devait se contenter des réponses brèves et évasives de Julien. Mais plus il lui montrait ostensiblement qu'il voulait être en paix, plus elle persistait à lui tenir compagnie. Un jour, comme ses parents n'étaient pas encore rentrés du travail, M. Sullivan avait proposé à Cassie de rester à la maison après l'école. Ils avaient alors pris l'habitude de monter dans la chambre de Julien. Lui restait allongé sur son lit à lire pendant que Cassie s'installait à son bureau pour écrire des histoires et dessiner des monstres dans son carnet. Ils restaient là, l'un à côté de l'autre, sans rien se dire.

Cassie ne le lui montrait pas, mais elle aimait sa compagnie. Et Julien... Julien le montrait encore moins, mais la réalité c'était que lui aussi, il aimait bien sa vie avec Cassie.

Il s'efforçait de la repousser, de ne pas lui parler, de la maintenir à une distance qui l'empêchait de s'attacher. Ça lui coûtait. Mais il lui suffisait de penser au moment où, cet été encore, son père lui annoncerait au dîner qu'ils allaient déménager pour que ça lui fasse l'électrochoc dont il avait besoin pour se rappeler à quel point il devait maintenir Cassie hors de sa vie.

Cassie était tellement attentionnée. Elle apportait des cookies tous les week-ends. À Noël, elle avait offert des écharpes qu'elle avait tricotées elle-même aux parents de Julien. Elle restait toujours après la sonnerie de la cloche pour aider M. Sullivan à effacer le tableau. Quand elle avait fini ses devoirs, elle aidait tous les soirs la petite sœur de Julien à faire les siens.

Julien ne voulait pas lui faire de la peine, mais il avait espéré qu'à force de la rejeter, Cassie finirait par se décourager. D'habitude, ça fonctionnait. Avec tous les autres ça fonctionnait.

Mais pas avec Cassie.

Parce que Cassie avait été la première à voir le bon en lui. 

La Fille du livreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant