Le lendemain, la journée est passée comme un samedi d'août à Paris. Le souffle du vent était lourd. L'air était chaud. Les pelouses avaient roussi sous la braise du soleil. Et les bancs du Champ-de-Mars brûlaient les cuisses quand on s'y asseyait.
Stella a pensé et repensé à sa conversation avec Julien. Elle n'en était même plus au stade où elle évaluait s'il lui plaisait. Non, la question n'était plus là. La question était de savoir ce qu'elle allait faire de la tentation de le voir qui avait germée dans son esprit pendant la nuit. Aller au date avec Ugo avait finalement été facile. Ça n'était qu'un déjeuner qui n'engageait à rien. Mais la perspective de rencontrer Julien la mettait face aux monstres de son adolescence qu'elle avait séquestrés dans un tiroir de sa mémoire pour ne plus jamais avoir à les regarder. Stella aurait aimé être suffisamment insouciante pour sauter le pas et dire à Julien Salut, j'ai réfléchi à ce que l'on s'est dit et j'ai bien envie de te rencontrer. Tu fais quelque chose ce soir ? Sans avoir peur de là où ça pourrait les mener. Mais elle était embourbée dans la toile d'araignée de ses angoisses. Elle ne voulait pas avoir peur de Julien parce que toute cette conversation l'avait bien au contraire mise en confiance, mais malgré elle, Stella était redevenue cette petite fille démunie et apeurée. Alors elle n'a rien dit. Elle s'est privée de lui écrire. Stella savait bien qu'elle ne pouvait pas lui donner ce qu'il voulait. Ni aujourd'hui, ni demain, ni jamais.
Elle a laissé passer la journée en n'allant même pas voir si Arthur lui avait répondu. Avec Julien, Arthur, ou n'importe quel autre homme, Stella avait beau essayer, elle réalisait que Nekfeu avait tort : ce n'était pas juste une question de volonté.
Comme tous les soirs, Stella s'est mise au balcon de ce grand appartement qu'elle occupait seule depuis le début de l'été. Il allait bientôt être 22 h, l'heure à laquelle la tour Eiffel se mettait à scintiller. Elle s'est emmitouflée dans un plaid, son portable agrippé à la main, et elle a regardé le manteau de loupiotes qui habillait la Dame de fer. Son téléphone s'est alors mis à vibrer.
Un message.
C'était Julien.
Du coup question bizarre, mais assez directe : on boit un verre ensemble ou on abandonne toute forme de discussion ?
Stella a poussé un soupir en s'accoudant à la balustrade du balcon pour lui répondre.
Hello Julien,
J'espère que tu vas bien.
J'y ai forcément pensé. Et j'en suis venue à la conclusion que je ne pouvais pas te garantir de te donner ce que tu attends. Le sujet est trop compliqué pour que je puisse te promettre que boire un verre avec toi se terminera comme tu le souhaites. J'ai conscience que ma réponse n'est pas satisfaisante, mais je ne veux pas me mettre la pression pour le faire avec quelqu'un que je ne connais pas ou si peu. Donc j'imagine que c'est mieux si on en reste là.
Juste avant que l'on prenne des chemins différents, je voulais te dire merci d'avoir été patient, compréhensif et respectueux. Au-delà du fait que ce ne soit pas le genre de conversation que j'ai l'habitude d'avoir (sur Bumble ou ailleurs), c'était surtout la première fois que je parlais à quelqu'un de mon passé. Notre conversation m'a fait réfléchir et a bousculé pas mal de mes convictions. Je sais que la prochaine étape sera de passer de la théorie à la pratique et j'aimerais que ça soit aussi simple pour moi que ça l'est pour toi, mais je n'en suis pas encore là.
Merci pour ces dernières vingt-quatre heures. Je ne les oublierai pas.
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La Fille du livre
RomansaStella est une utopiste qui aspire à mener une vie comme dans les romans d'amour qu'elle écrit. Mais un passé tumultueux, un manque de confiance en elle, une peur de s'ouvrir aux autres, et on en arrive à 23 ans d'existence sans être jamais tombée a...