Notre premier message
Un an et demi plus tôt
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Stella
Je vais avoir 24 ans dans un mois. Je n'ai jamais eu de copain et je ne suis jamais tombée amoureuse. Est-ce que ça me préoccupe ? Oui et non. Oui, parce que je me compare à mes sœurs qui sont toutes casées depuis leur 18 ans, fiancées pour la moitié, avec des enfants pour un tiers. Et non, parce que même si ça m'arrive de me dire que ça doit être cool d'avoir un copain, je sais bien que je ne suis toujours pas prête. J'ai d'ailleurs passé ce deal avec moi-même qui consiste à me dire que, le jour où ça doit arriver, mon boyfriend me trouvera sans même que j'aie à le chercher. Je lis des livres. Donc je vis dans l'illusion que les boyfriends que l'on rencontre au coin d'une rue, avec qui on a un eye contact dans le métro ou qui s'assoient devant nous en cours d'anglais existent dans la vraie vie.
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Stella a cette candeur qui la rend attachante. N'allez pas croire que Stella est naïve. Elle ne l'est pas. Stella est une cartésienne qui ne croit ni aux signes mystiques ni en l'astrologie. Elle ne croit pas au hasard non plus. Elle croit au déterminisme. Stella pense qu'elle est un personnage, comme ceux qu'elle fabrique dans les livres qu'elle écrit. Stella imagine que des scénaristes dans l'univers tirent les ficelles de sa vie. Ils ont un plan, un scénario déjà tout prêt pour chaque humain. Ils sont rangés dans des dossiers, les scénarios. Dans une grande salle, avec des tiroirs triés par ordre alphabétique et encastrés dans les murs. Quand on les ouvre, ils font cinq mètres, peut-être dix de longueur. Et chaque jour qui passe, chaque rencontre, chaque opportunité, chaque épreuve, est juste un épisode que l'on vit, mais qui était déjà écrit. Dans un script, élaboré par on ne sait pas très bien qui. Des scénaristes de l'au-delà, on va les appeler comme ça.
Stella aime la facétie de son idée. Elle sait qu'elle n'est pas très cartésienne, cette vision de la vie, mais elle aime se dire que quelque chose de plus grand contrôle ce qui lui échappe. Parfois, elle imagine que les scénaristes décident de changer le plan prévu. Comme ça, sur un coup de tête, un dimanche après-midi où ils s'ennuient. Pour créer une brèche dans l'ordre de ce système mathématique. Elle pense que les scénaristes aiment les turbulences. Elle pense que parfois, ils vont dans la grande salle, ouvrent un tiroir et prennent deux dossiers au hasard, deux dossiers qui n'ont rien à voir. Ils partent de la salle des archives avec les deux scénarios sous le bras et se mettent dans une salle de réunion pour imaginer comment ils vont faire collisionner ces deux êtres humains qui n'auraient jamais dû se rencontrer. Les scénaristes improvisent un plan, choisissent une date, une heure. Ils écrivent le détail de cette scène qu'ils insèrent au milieu de leurs deux scripts respectifs. Jusqu'à ce que le jour J arrive et que l'humain du dossier A percute l'humain du dossier B.
La collision entre Stella et Julien avait été programmée pour le vendredi 6 août 2021. Quelque part entre 15 et 16 h.
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Samedi 31 juillet 2021
Je suis en vacances depuis hier et je viens d'entrer dans cet étrange sas de décompression entre le soulagement d'une année terminée et l'appréhension du néant estival. Je déteste les vacances, les jours fériés et les dimanches. Quand j'étais petite, je parcourais le calendrier scolaire et me réjouissais en voyant que la Toussaint et l'Armistice passaient à la trappe parce que le hasard avait fait qu'ils tombaient un samedi ou un dimanche. Le pire, c'était l'année où l'école avait accepté que les élèves fassent le pont pour le jeudi de l'Ascension. Quelle invention diabolique de flemmards ces ponts. J'ai toujours détesté les jours fériés, les dimanches et les vacances scolaires. Parce qu'ils étaient l'incarnation des deux monstres qui me terrorisent : le vide et l'ennui.
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La Fille du livre
RomanceStella est une utopiste qui aspire à mener une vie comme dans les romans d'amour qu'elle écrit. Mais un passé tumultueux, un manque de confiance en elle, une peur de s'ouvrir aux autres, et on en arrive à 23 ans d'existence sans être jamais tombée a...