~ Chapitre 3.5 ~

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L'arrêt Les Bruyères n'était pas au pied de chez Julien. Il était situé au beau milieu de la route nationale, et il fallait arpenter une pente pendant sept ou huit minutes à pied avant d'arriver à sa maison. La maison de Julien n'était pas neuve. Elle avait été construite en 1997. Le chemin des Bruyères était longtemps resté désert, mais depuis quelques années des dizaines de maisons avaient poussé un peu partout comme des champignons. À cause de la base militaire. C'était curieux de voir le moderne se juxtaposer à l'ancien. N'importe qui pouvait distinguer les maisons qui étaient là avant et les autres qui avaient été construites plus récemment. Julien n'aimait pas les maisons modernes. Il trouvait qu'elles n'avaient pas d'âme et pas de charme. Leur façade semblait froide. Alors que sa maison à lui, sa maison aux volets bleus, rien que de l'extérieur elle était accueillante et on voyait qu'elle nous tendait les bras pour qu'on y entre.

Le car s'était déjà bien désempli quand le chauffeur avait fini par arriver à l'arrêt des Bruyères. Cassie était toujours à sa place au moment où Julien avait remonté l'allée centrale pour rejoindre l'avant du bus. Il ne restait plus beaucoup d'arrêts avant le terminus.

Où habites-tu ?

Toujours avec un hochement de tête – qui lui servait aussi bien pour répondre à un « Salut » qu'à encapsuler un « Merci, bonne soirée, à demain » au chauffeur – il était sorti du car et avait embrayé sur la première à gauche pour arpenter le chemin des Bruyères. Julien remontait péniblement la route goudronnée. Il savait qu'au moment il apercevait la boîte aux lettres de M. et Mme Barbier, il était enfin arrivé à mi-chemin. Interminable. Mais à l'instant où il avait dépassé leur portail en fer forgé, Julien avait entendu des pas trottiner derrière lui. Il s'était retourné.

C'était Cassie.

***

— Salut ! lui avait-elle lancé essoufflée quand elle avait enfin réussi à le rattraper. Tu marches vite.

Julien avait répondu avec un hochement de tête et avait continué sa route alors qu'elle s'était pliée à demi en s'appuyant sur ses genoux pour reprendre sa respiration. Elle avait à nouveau parcouru les quatre mètres qui la séparaient de Julien et s'était mise face à lui en marchant à reculons.

Coriace.

— Moi c'est Cassie, avait-elle annoncé en lui tendant la main tout en poursuivant son chemin à l'aveuglette.

Elle allait finir par tomber dans le fossé qui longeait la route.

— Julien, avait-il répondu d'une voix difficilement audible et en s'abstenant de lui serrer la main.

— Tu habites loin ?

— Tu devrais faire attention, l'avait-il mise en garde en regardant ses Dr. Martens, puis le fossé pour le lui montrer des yeux.

Cassie avait fini par se ranger à côté de lui. Alors Julien avait interverti sa place avec la sienne sans lui donner d'explication. Elle l'avait interrogé du regard.

— Les voitures, avait-il répondu en repensant à son père qui lui avait dit d'être prudent en rentrant de l'école parce qu'elles dévalaient le chemin des Bruyères à toute vitesse.

— Merci, s'était-elle contentée de répondre quand elle avait compris. Tu habites encore loin ? avait réitéré Cassie en se calquant sur le pas cadencé de Julien.

— Au 207, avait-il répondu pour rester évasif.

— La maison aux volets bleus ?

Comment sais-tu ça ?

— J'habite en face, au 210 !

La plaie.

— Tu y vis depuis longtemps ? avait-elle poursuivi.

— Cet été.

— Moi j'ai emménagé ce week-end, mon père est militaire et il a été muté ici, avait enchaîné Cassie en donnant les réponses aux questions que Julien ne lui retournait pas. C'était mon premier jour aujourd'hui.

— J'ai vu.

— Tu le trouves comment, M. Sullivan ?

— Il donne trop de devoirs, avait rétorqué Julien alors qu'il ne les faisait de toute façon pas.

— On pourrait les faire ensemble.

— Je dois y aller, avait-il annoncé alors qu'ils venaient d'arriver devant le 207.

— Oh, vous avez des marronniers ? avait demandé Cassie en apercevant les deux grands arbres de part et d'autre du portail bleu lavande.

— Oui, avait répondu Julien en abaissant la poignée. Salut, avait-il dit pour clôturer la conversation en refermant la porte derrière lui.

— On fait le chemin ensemble demain matin ? avait lancé Cassie dans les airs alors qu'elle ne voyait plus Julien qui marchait sans doute sur les petits graviers blancs de l'autre côté de son portail.

Vraiment coriace.

La Fille du livreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant