~ Chapitre 3.3 🐝 ~

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Julien était très observateur. Il voyait toujours les choses insignifiantes que personne ne remarquait jamais. Le tableau n'était pas droit. Il penchait sur la gauche. Pas de beaucoup, 4 ou 5 degrés. Il manquait une punaise pour fixer correctement la frise chronologique des rois de France sur le tableau de liège. Le morceau qui retraçait l'histoire des Mérovingiens était déchiré en plein sur la tête de Clotaire 1er Le Vieux, et on n'arrivait plus à déchiffrer s'il avait régné de 511 à 561 ou de 514 à 531. Puis il manquait l'annulaire gauche au squelette qui trônait à côté du bureau de M. Sullivan.

Un mardi matin de septembre, alors que l'analyse ethnologique n'était pas encore terminée, une fille aux tresses était venue s'asseoir à côté de Julien. Il ne l'avait jamais vue. Avait-il pu la manquer ? Non impossible. Si elle était là avant, il l'aurait remarquée.

Alors qui es-tu ?

La blonde aux tresses avait des taches de rousseur. Un petit nez retroussé. Et ses yeux étaient...

— Salut, lui avait-elle lancé en posant sur la table son cartable recouvert de pins, de boutons, de breloques.

Ses yeux étaient verts.

Julien avait répondu à son « Salut » avec un furtif hochement de tête. Il avait baissé le regard sur ses pieds et ses yeux étaient tombés sur des Dr. Martens blanches. Elles lui arrivaient à mi-mollet. Julien le savait parce qu'elle les avait enfilées par-dessus son jean. Il était bleu foncé, son jean, avec des poches sur les cuisses et une abeille brodée. Rectification, deux petites abeilles brodées. Elle avait sorti une trousse de son sac et un carnet de notes. Ce n'était pas un banal cahier avec des carreaux bleus et une marge rose. Non, son carnet était mystérieux. Elle devait l'avoir trouvé dans une papeterie. Elle avait l'air d'être du genre à flâner dans les allées des papeteries pour mettre la main sur des trésors cachés. La couverture était marron avec des arabesques dorées et des reflets cuivrés. En regardant la tranche, Julien avait vu un petit cadenas qui scellait les pages. Peut-être qu'elle conservait la clé dans sa trousse. Ou dans l'une des poches de son jean. La fille aux tresses portait des mitaines blanches aussi. Sans qu'il ait à pivoter la tête, les yeux de Julien avaient pu remonter sur les manches de son pull. Elles n'étaient ni bleues ni vertes. À l'intersection entre le bleu et le vert. Bleu canard, peut-être. Elle avait un t-shirt jaune moutarde par-dessus son pull bleu canard. Et un débardeur rose, par-dessus son t-shirt jaune moutarde. Original. Elle avait gardé en bandoulière un petit sac en crochet. Ça n'aurait pas surpris Julien que ce soit elle qui l'ait fabriqué. Elle avait l'air d'être du genre à savoir tricoter des écharpes. Ou coudre des sacs. Il n'était ni orange ni rouge. À l'intersection entre l'orange et le rouge. Corail, peut-être. Son sac était bien trop petit pour que l'on puisse y ranger quoi que ce soit. Elle s'était enfoncée dans sa chaise pour l'ouvrir. Elle semblait chercher quelque chose. Julien l'avait entendu pousser un petit soupir d'impatience quand, finalement, elle avait réussi à en sortir une...

— Un peu de calme s'il vous plaît, avait réclamé M. Sullivan depuis l'estrade en tapant avec un feutre Velleda sur son bureau pour obtenir l'attention de la classe. Une nouvelle camarade nous a rejoints ce matin, avait-il annoncé en regardant le dernier rang.

Elle était nouvelle. Elle était évidemment nouvelle.

Dans un mouvement synchronisé, tous les élèves avaient alors pivoté sur leurs chaises pour se tourner vers Julien et...

— Cassie, bienvenue parmi nous, avait conclu M. Sullivan qui l'avait épargnée en lui faisant grâce de venir le rejoindre sur l'estrade pour se présenter devant tout le monde.

Tu t'appelles donc Cassie. 

La clé de son carnet. C'était ce qu'elle cherchait dans son petit sac en crochet. Après avoir libéré les pages du cadenas, elle les avait tournées à toute vitesse pour arriver à une feuille vierge sur laquelle elle s'était appliquée à écrire la date avec son stylo plume. Julien avait eu le temps de voir que les pages précédentes étaient remplies de mots. Et de monstres.

Est-ce que tu écris des histoires ?

La Fille du livreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant