~ Chapitre 3.8 ~

97 4 2
                                    

Stella

Le lendemain matin

Dimanche 8 août 2021

Depuis des années, j'avance avec la conviction d'avoir gâché ma jeunesse. Je me suis privée de vivre beaucoup de choses de mon âge. N'allez pas croire que je suis coincée. Je ne le suis pas. Je sécurise le périmètre. Je ne laisse rien au hasard pour me protéger. Ça me rassure d'avoir l'impression de tout contrôler parce que c'est ma manière à moi de ne plus revivre des situations qui finissent par déraper.

J'ai tourné et retourné le sujet dans ma tête toute la nuit. Julien n'est qu'un inconnu dont je ne sais rien, mais je refuse de le laisser partir parce que j'ai peur ; pour n'importe quelle raison, mais pas parce que j'ai peur. Julien n'est pas comme Ugo. Ce n'est plus un simple garçon de Bumble avec qui j'envisage d'avoir un date. Julien incarne lui aussi une occasion ; celle d'affronter les monstres de mon passé qui ont mis ma vie sur pause depuis des années. Peut-être qu'il veut juste coucher avec moi. Peut-être qu'il a vu comme un challenge le fait de réussir à me faire changer d'avis. Même si mon intuition n'est basée sur rien d'autre que les messages qu'on s'est envoyés, je n'arrive pas à croire qu'il puisse être un garçon dont je dois me méfier.

Je ne pense qu'à ça. Je ne pense qu'à lui. J'ai autant envie de le rencontrer que je suis terrifiée qu'il veuille autre chose et que je ne puisse pas le lui donner. J'ai besoin de savoir comment ça va se passer. Mais tant que je n'aurai pas sauté le pas, je ne pourrai rien faire d'autre que spéculer sur la tournure que prendra notre soirée. C'est une torture mentale qui ne peut prendre fin que de deux manières : soit je clôture définitivement la conversation avec Julien en lui disant que je ne suis pas prête à le rencontrer. Mais ça ne résout pas ma peur d'être à nouveau intime avec quelqu'un. Soit j'affronte les monstres qui m'empêche de vivre en prenant mon élan depuis le bord de la falaise pour me jeter dans le vide avec la confiance aveugle, mais incertaine, que Julien sera là pour faire un petit bout du plongeon avec moi.

J'ai réfléchi. Longuement réfléchi. Puis je lui ai envoyé un message quelque part au milieu de la soirée.

Moi : Est-ce que je peux te poser une question ?

Julien : Évidemment.

Moi : Dans l'éventualité où il me viendrait peut-être à l'idée de te proposer que l'on se voie, qu'est-ce qui t'arrangerait ?

Julien : Ça fait beaucoup de suppositions ! La vraie question, c'est plutôt « Qu'est-ce qui nous arrangerait ? ».

Moi : Pitié, pas un date dans un bar.

Julien : Je voulais dire arrangement géographique.

Moi : Ah ! Tu es déjà sur la logistique. Je suis seule dans un appartement de 200 m² si ça te dit.

Julien : Pardon ?

Moi : C'est une longue histoire...

Julien : Il va falloir que tu m'expliques ! Mais tu sais que la logique voudrait que tu préfères rencontrer un inconnu dans un lieu public ?

Moi : Tu insinues que j'ai des raisons de me méfier ?

Julien : Tu sais bien que non.

Moi : Alors dans ce cas, je me sens plus à l'aise chez moi. J'ai besoin que tu me fasses une promesse.

Julien : Dis-moi.

Moi : Promets-moi que, même si on se voit chez moi, il ne se passera rien.

Julien : Je te le promets si tu m'expliques pourquoi tu as un 200 m² solo à Paris !

Moi : L'offre va clairement expirer...

Julien : Non, non. Je saisis l'offre. Elle n'a pas expiré ! Je l'ai eue avant. Hein je l'ai eue avant ?

Moi :Still waiting for your promise. (Si tu manges, tu me dis on se parle plus tard)

Julien : Waiting for your answer as well. (Je ne mange pas encore, mais j'ai des défauts : je joue à l'ordinateur)

Moi : Oh, tu joues à quoi ? Je me suis remise à Dofus depuis les vacances.

Julien : J'ai passé tellement d'années à jouer à Dofus ! Je suis sur Fortnite là, et j'ai joué à Resident Evil tout à l'heure.

Moi : Date Dofus en perspective... Tu veux venir quand ?

Julien : Demain ?

Moi : Oula, c'est très bientôt demain !

Julien : J'ai hésité à te proposer ce soir... (Que l'on se voie chez toi ne change rien : je pense toujours tout ce que je t'ai dit depuis vendredi).

Moi : (Merci)

Julien : À bientôt Sté.

Moi : À demain.

La Fille du livreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant