Reprenait enfin le cours que j'attendais le plus : le cours de théâtre. J'avais patienté toute la journée pour qu'arrive dix-huit heures. Et une fois dans la salle de théâtre, tous les étudiants dans les coulisses, j'étais la plus heureuse. Quand je jouais, chantais, dansais, j'avais la sensation que tout le monde autour se dissipait, s'évanouissait. Alors je n'attendais que de pouvoir mettre en scène toutes ces lignes que j'avais apprises.
L'enseignant M. Hawtorne arriva, et en le voyant je fus frappée du souvenir d'Hëna m'humiliant en révélant ma tricherie à la moitié de la promo. Et ce professeur qui avait tenté de m'aider. C'est grâce à lui que j'ai pu nier et que personne finalement n'a cru les dires d'Hëna. Je jetai un coup d'œil vers cette dernière, qui était collée à Kellan, m'ignorant complètement. Je me souvins soudainement de ses lèvres sur les miennes, de la passion qui unissait nos corps, de ses mains sur moi... Je me souvins de toutes ces fois où la tension dépassait tout, où j'avais l'impression que mon cœur était prêt à s'enfuir de ma cage thoracique. Je songeais au désir que j'avais de ne jamais donner fin à nos baisers, à ses dents qui emprisonnaient ma lèvre inférieure, à sa langue qui parcourait la mienne avec autant de brutalité que de douceur. Si je continuais je brûlerais sur place. C'est alors fort heureusement que Clara mit fin à mes pensées :
— T'as appris la pièce ?
— Oui, et j'ai adoré !
— Wow, pourtant t'as pas mal de répliques ! s'exclama-t-elle, les yeux brillants.
— Possible mais il est de mon devoir de bien connaître toute l'histoire.
En pensant au premier rôle que j'incarnais, je ne pus réprimer un regard vers Hëna, elle devait me détester de lui avoir volé cela. Mais « que la meilleure gagne », comme on dit. Le professeur nous demanda de nous placer en arc de cercle en face de lui. Je détaillais sa tenue au style hippie, ses cheveux bruns assez ébouriffés. Il donnait l'impression de sortir d'un buisson, mais son air sympathique et confiant le rendait assez attrayant. Il était aussi très éloquent et charismatique, ce qui n'est pas surprenant en soi pour un enseignant de théâtre et metteur en scène. Quand tout le monde fut en place, il prit donc la parole d'une voix claire :
— Alors, j'espère que vous avez tous pris le temps de bien lire la pièce, et que vous avez commencé à l'apprendre un minimum.
Nous acquiesçâmes en silence, attendant qu'il nous explique le déroulé de la leçon.
— Alors, qu'en avez-vous compris ? Faites-moi un résumé précis.
C'est Hëna qui répondit en première, et mon cœur battait plus fort à chacune de ses paroles, j'avais envie de lever les yeux au ciel tellement les réactions de mon corps m'exaspéraient.
— Il s'agit d'une comédie musicale mêlant humour et tragédie. C'est une pièce métaphoriquement inspirée d'un jeu d'échecs, où chaque personnage représente une pièce. Le point de vue est celui des blancs, ceux qui commencent, et ont très visiblement le contrôle du plateau qui est le monde. Nous avons donc plusieurs assassinats, d'histoires de manipulations, mais aussi d'amour et de vengeance.
— Très bien, Hëna, tu as bien compris la métaphore qui n'est pas toujours évidente, car nous avons en effet deux reines et deux rois, mais chaque personnage n'est pas une pièce de manière très claire.
Il fit une pause, laissant le temps à ceux qui n'avaient pas compris le lien de réfléchir à la manière dont ils ont abordé la pièce. Puis reprit :
— Selon le critique André Antoine, créateur du Théâtre-Libre en 1887, en quelque sorte ayant « inventé » la mise en scène, il faut jouer au plus près du réel et du personnage, vivre le rôle, faire comme si c'était réel. Je veux que vous soyez les plus mimétiques possibles. Donc aujourd'hui nous allons faire des lectures sur scène, afin de voir la manière dont vous interprétez vos rôles, et pour tenter de se donner un bon placement dans l'espace. Mais d'abord nous allons commencer par des échauffements de voix et d'interprétation des émotions.
Il nous demanda alors de former une ronde, et commença son échauffement habituel en nous demandant de libérer l'énergie de notre corps en secouant les bras et jambes, en nous concentrant sur notre respiration. Petit à petit il nous donna des émotions comme la colère, la tristesse, la jalousie, que nous devions interpréter, imiter. Puis il partit dans du plus abstrait en nous demandant de devenir l'océan, le vent, la nature. Je remarquai que certains étaient plus sérieux que d'autres, certains ne pouvaient retenir leur rire et leur gêne, et d'autres étaient entièrement concentrés sur eux-mêmes, comme si plus rien n'existait. Pour ma part, j'effectuais les demandes de M. Hawtorne, mais attendais impatiemment le jeu sur scène.
Il nous demanda ensuite de nous mettre par duos, je me mis alors avec Clara, faisant face à son regard plein de bienveillance et son visage enfermé par ses cheveux blonds. Elle me sourit, et retint un rire quand l'enseignant nous demanda de faire le miroir de notre camarade. Je commençai alors à faire les premiers mouvements lentement, et elle m'imita avec aisance, alors j'accélérais légèrement le pas. Derrière elle je vis Hëna et Kellan, qui se souriaient honnêtement. Je sentais mon cœur me piquer, et essayais de me reconcentrer sur Clara, sa peau claire et ses sourcils touffus, la courbe de ses lèvres et la forme de sa mâchoire. N'importe quoi qui pourrait m'empêcher de dévier. Le professeur demanda d'inverser les rôles alors je dus me concentrer d'autant plus sur les mouvements de ma camarade, mais c'est à ce moment que je sentis le regard d'Hëna sur moi, il me brûlait la peau.
A la fin de ce rituel d'échauffements, nous passâmes de l'autre côté du rideau rouge, sur la scène. Il appela alors les acteurs de la première scène, demandant aux autres de descendre dans le public.
— Ok, alors les rideaux s'ouvrent sur deux pions blancs, vous êtes en train de discuter, avant que votre reine n'arrive. Je vous laisse le jouer à votre manière, puis nous réfléchissons sur la manière dont on met tout ça en scène.
J'acquiesçai, en me plaçant sur le côté pour laisser deux étudiants dont je ne connaissais pas le nom trouver leur place. Ils commencèrent à jouer en lisant leur texte :
— Ô ami, as-tu senti la menace qui pèse sur notre royaume ? Il paraît que nous ne trouverons plus jamais la paix avant d'abattre le royaume adverse. Je regrette déjà les... Les fêtes de village.
— Pas grave pour... notre paix, tu le sais bien, le plus important est la victoire. Nous pourrons rêver d'espoir quand tout ça sera finit. Et nous avons toutes nos chances de gagner, tant que le roi est en sécurité nous y parviendrons.
— Je te fais confiance alors, si tu le dis.
J'entrai alors en scène, et les deux se tournèrent vers moi avant de me faire la révérence.
— Très chère reine, commença l'un. Que prévoyez-vous contre... Contre la guerre qui s'annonce ?
— Nous détruirons un à un chacun de leurs bons éléments. Je n'ai aucune pitié.
Ils échangèrent un regard étonné et en bégayant le deuxième demanda :
— Mais êtes-vous certaine que ce n'est pas risqué ? Il ne faudrait pas oublier de défendre notre roi...
— Tout est sous contrôle, vous n'avez pas de souci à vous faire.
Cette première scène ne me laissait que peu de temps de parole, et continuait ainsi, dans une sorte de brouillard. Je n'aimais pas spécialement cette entrée en matière, mais je savais que la suite en valait le coup. Alors quand la scène fut terminée, nous attendîmes le retour de l'enseignant. Celui-ci nous donna alors quelques conseils, sur la manière de se placer, d'interagir, de réagir, d'être même lorsque nous ne prenions pas la parole.
La deuxième scène était celle d'une confrontation entre moi et le roi de mon clan, jouée par Marius, un camarade et ami avec qui j'appréciais jouer aux échecs justement. Il me reprochait d'être trop agressive, de vouloir le mal pour ma patrie, et mon personnage, très impulsif, commença à s'emporter, et à lui lancer des objets invisibles. Notre dispute s'enflammait et je finis par quitter la scène en jurant amèrement et le menaçant, promettant d'apporter victoire à notre peuple. Je le laissai alors seul sur scène pour son monologue.
En descendant les escaliers, mon regard croisa celui d'Hëna toujours avec Kellan, et je me demandai une seconde si je devrais ou non la rejoindre. Mais je ne le fis pas, et allai m'installer aux côtés de Clara. Celle-ci complimenta mon jeu d'acteur, et m'avoua être légèrement stressée de devoir jouer même devant nous. Je lui donnai alors quelques conseils, qu'elle prit avec gratitude.
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Sous le murmure des ombres
FantasiPandore, Hëna, Xan et Orion sont étudiants dans la prestigieuse université Villarian, qui intègre et forme les meilleurs magiciens du pays. La vie y est calme et studieuse, jusqu'à ce qu'une des élèves meurt soudainement. Pandore, pouvoir de la télé...