~ Faux mariage, Vrai désir ~

Chapitre 20

Sarah

Grâce au ciel, la saison est favorable, j'effectue plusieurs excursions dans la semaine. Je suis éreintée quand je rentre : je n'ai pas encore l'habitude de circuler sur les routes Françaises en autocar avec quarante personnes derrière moi toute la journée. À Las Vegas, des lignes droites sans fin. Ici, le paysage change à chaque virage. Je ne fais pour l'instant que le nord de l'île, avec la cascade de Gairaut, le canal de Gairaut, la Balagne et ses vieux villages ou le sauvage cap de Nice ; j'espère pouvoir bientôt partir en Tour de France pendant six ou sept jours. Je patiente, je dois d'abord montrer mes capacités et prouver qu'on peut compter sur moi en me confiant un groupe sur une si longue période.

Mon manque d'expérience m'oblige à réfléchir constamment à mes commentaires. Je me donne à fond dans ce métier passionnant, j'essaie d'être disponible pour les clients, de sourire et de faire apprécier mon île à ces visiteurs parfois venus de l'autre bout du monde.

La chaleur accentue ma fatigue ; les visites se font à un pas plus lent et je crame derrière le pare-brise de l'autocar. Mais allongée dans mon lit le soir, le sommeil tarde toujours à venir. Et quand il daigne se présenter, il m'emporte dans un tourbillon sombre et hostile. Je me réveille souvent en sueur au milieu de la nuit. Mes rêves érotiques des premiers jours ont laissé la place au chaos. Mon cauchemar récurrent concerne l'attaque d'Alexia, je sens encore la pointe de son couteau dans mon dos, je me revois la jeter dans l'escalier. Puis je dévale les marches et quand je m'approche d'elle, je m'aperçois qu'elle ne respire plus, je l'ai tuée. Son visage se confond alors avec celui des deux autres victimes de l'incendie et c'est à cet instant que je m'éveille, le cœur palpitant et les yeux hagards.

Le vendredi matin, je file voir Marie à Bastia. Deux heures de route en solitaire avec la musique de l'Arcusgi pour me tenir compagnie. Je chante à tue-tête pour m'étourdir, loin de sa musique et de sa voix envoûtante. Je relègue tout ce qui peut me relier à lui dans un minuscule coin de ma tête.

Je voudrais tout effacer. N'avoir aucun souvenir.

Bordel de merde ! J'ai failli heurter une vache divaguant sur la nationale !

Concentre-toi sur la route Sarah !

Ma sœur loue un petit appartement près de l'hôpital, dans un quartier construit dans les années soixante. Je dépose mon bagage chez elle (elle m'a donné le double de ses clés) avant de me rendre dans le centre-ville où elle me rejoindra après son service. Je découvre une citadelle rénovée et entièrement remise aux piétons. Superbe ! Je visite le nouveau musée, mon calepin dans les mains. Je prends des photos des œuvres, je les décris, bref je me crée ma propre visite ; je mémorise mieux ainsi grâce à ma mémoire visuelle.

Devant les tableaux des notables de la ville, je relis mes notes décrivant la salle du donjon qui correspond à la période de la révolution Nice : j'ai écrit plus de la moitié des mots en anglais ! Je suis stupéfaite, je n'écrivais pas en anglais avant, même à Las Vegas. D'ailleurs Priscilla me le reprochait, car je remplissais certains formulaires en français sans m'en apercevoir. Pourquoi fais-je le contraire maintenant ?

Je ne peux – ou ne veux pas – continuer mon introspection, car Marie m'attend avec son Petru au restaurant. Ils se sont installés sur une terrasse qui surplombe le Vieux Port. La vue est splendide dont nous voyons très clairement le relief accidenté. La Méditerranée est calme, quelques bateaux de pêche naviguent le long de la côte. Rien à voir avec la circulation intense dans la baie de San Francisco... Je ravale ma salive et je serre les dents.

Je suis assise face à Marie qui me donne un coup de pied sous la table pour me ramener sur terre. Un verre de vin blanc me rafraîchira les neurones.