Chapitre 32

23 2 0
                                    

Sarah

Ma nuit n'est pas formidable. Je me réveille pratiquement toutes les heures, seule dans ce lit trop vaste, hantée par cette horrible cellule et d'abominables yeux marron à travers la lucarne de la porte. Ma main cherche désespérément son corps chaud à mes côtés et ne trouve que le froid des draps. Le cauchemar recommence alors ; je cours à perdre haleine vers cette lueur intense, mais quand j'arrive, la lumière s'éteint. Encore et encore. Lui est toujours allongé sur ce matelas immonde, inerte. Malgré mes efforts et mes supplications, je ne peux pas l'atteindre, il est emprisonné dans une boule d'acier.

Une faible clarté rosée filtre à travers les stores, il est tôt. Mon portable me dit six heures vingt. Mon subconscient m'ordonne de rester au lit, mais mon cerveau fonctionne déjà à plein régime.

Devant le miroir de la salle de bains, je ne peux que constater les dégâts : mine fatiguée, cernes prononcés et cheveux en pagaille. Je me nettoie le visage à l'eau fraîche espérant me revigorer un peu ; j'essaie vainement de discipliner mes boucles. Je rajuste la bretelle de ma nuisette en soie (que j'ai achetée exprès pour lui...) puis je descends au rez-de-chaussée où flotte une agréable odeur de café frais. Je me verse une grande tasse et me dirige vers le salon. Je m'attendais à le voir endormi sur un canapé. Mais il est assis sur le grand sofa ivoire, concentré sur sa guitare. Il fredonne à voix basse une mélodie aérienne absolument fabuleuse, penché sur son petit carnet.

Quand j'arrive dans son champ de vision, il sursaute :

– Oh, je ne t'ai pas entendu... Bien sûr, tu es pieds nus, c'est pour ça.
– Bonjour. Tu as dormi ?
– Non.
– Hace, tu dois aller te reposer.
– Je ne peux pas.

Je m'assois à côté de lui, je voudrais passer ma main dans ses cheveux si noirs, mais quelque chose me retient. Il se force à me sourire :

– Tu n'as pas beaucoup dormi non plus. Le soleil vient à peine de se lever.
– Ça va. Qu'est-ce que tu as fait toute la nuit ?
– J'ai composé.
– La musique que tu fredonnais est sublime.
– Elle te plaît ?
– Énormément.
– Je vais la mettre dans l'album. Je n'ai pas encore toutes les paroles. Marc va râler parce qu'il va falloir remodeler la maquette, mais tant pis.

Le dernier accord s'évanouit dans un profond silence qui dure plusieurs minutes. Avec son pouce, il essuie délicatement une larme sur ma joue. Sa musique m'a toujours fait vibrer, mais après les horreurs que nous venons de vivre, celle-ci m'apporte une plénitude libératrice.

– Je ne voulais pas te faire pleurer mon ange. Tes réactions me font parfois peur.
– Peur ?
– Oui. Ta vie n'a été qu'une succession de dangers depuis que tu me connais. Et tu sembles si... si stoïque que je ne trouve pas ça normal. Puis d'un coup, sur une simple musique, tu pleures. C'est déconcertant. Et effrayant à la fois. Je m'en veux, tu ne peux pas savoir !

Avec douceur, il prend mon visage entre ses mains, il a les sourcils légèrement froncés. Je ne peux détacher mon regard de ses yeux qui paraissent sonder mon âme.

– Tu m'as apporté tout ce que je recherchais sans le savoir : la normalité, me dit-il avec conviction. Je vis depuis tellement longtemps dans le monde du spectacle que j'ai oublié ce que c'était que d'avoir une vie normale. Je crois même que je ne sais même pas ce que c'est. Parce que je ne peux pas dire non plus que les quelques années que j'ai passées avec ma mère ont été simples. Jusqu'à ce que tu déboules dans ma vie, je vivais cette normalité à travers celle de certains proches comme Marc et Mia ou Kyle et Alice, mais je ne l'ai jamais envisagée une seule seconde pour moi, j'avais trop peur de reproduire les erreurs de mes parents.
– Tu n'es pas eux Hace ! je lui rétorque.
– Oui, je le sais maintenant. Il est donc hors de question pour moi de t'empêcher d'être heureuse et d'avoir une vie normale avec une personne qui t'apporterait la stabilité que tu mérites. Je comprendrais que tu veuilles me quitter parce que j'ai trop bouleversé ta vie. J'y ai réfléchi toute la nuit. Je ne peux pas t'imposer mon mode de vie. J'accepterai sans discuter ta décision.
– Hace ! Stop ! Ces dix jours dans cette cave ont été une torture : je ne savais pas si tu allais t'en sortir et ma seule préoccupation était de te maintenir en vie. J'ai eu si peur de te perdre. Si tu savais à quel point j'ai eu peur. J'ai cru que tu allais mourir ! Je ne supportais même pas l'idée d'y penser...

~ Faux mariage,  Vrai désir ~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant