Chapitre 22

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Sarah

Ma mère m'écoute en silence. Nous sommes assises toutes les deux à la table de la cuisine, devant un thé chaud. Il fait bien plus de trente degrés dehors et j'ai froid.

– Ne prends pas cet air consterné Maman. Je vais bien.

– Non Sarah. Tu es pâle à faire peur. Il n'aurait jamais dû venir ici ! Regarde dans l'état où tu es maintenant ! Tu es toute chamboulée.

– Il n'y est pour rien.
– Bien sûr que si !
– Maman, il n'a aucune idée des sentiments que j'éprouve. Il voulait juste me parler de l'enquête.
– Il aurait dû le faire par téléphone, ou mieux, par mail ! Tu n'aurais pas cette tête de déterrée.
– Je ne suis pas dépressive. Crois-moi. J'ai toujours su à quoi m'en tenir.
– Je m'en doute. Tu es intelligente et tu as du caractère. Mais dès que l'on touche à tes sentiments, tu te renfermes comme une huître. Même avec ta propre famille. Nous nous inquiétons tous pour toi.

Le nez dans ma tasse, je n'ai rien à lui répondre. Elle a raison, je n'aime pas étaler mes émotions. Mais j'aime encore moins causer du souci à mes proches.

– Maman. (Je pose ma main sur la sienne et je lui sors mon plus beau sourire) : Bientôt, cette situation aberrante sera terminée et je pourrai enfin me consacrer à vous et à mon travail. C'est une nouvelle vie pour moi qui s'annonce !
– Mouais...

Sur ce, ma mère se lève et commence à taillader les courgettes du jardin pour le dîner, en marmonnant. Je ne l'ai absolument pas convaincue avec mon petit discours... Je ne le suis pas moi-même...

Ma sœur non plus. Ma mère a eu la mauvaise idée de lui raconter le stop éclair de ma star à Nice. Elle me rappelle dès la fin de son service. Je dois lui retracer minute par minute notre brève rencontre. Elle est surexcitée au téléphone :

– Incroyable, incroyable !
– Marie, tu te répètes.
– Sarah, je ne te comprends pas. Tu n'as aucune réaction. Ce n'est pas normal ! Hace Collins vient te voir en France et tu ne ressens rien ?
– Je ne veux rien ressentir, je lui avoue, les yeux humides.
– Comme d'hab' ! Tu sais, quand j'ai fait mon stage en psy, les infirmières là-bas nous incitaient à toujours exprimer nos sentiments, à n'importe qui, mais il fallait les ressortir sinon on ne tenait pas longtemps dans ce service. Parle à quelqu'un où tu sombreras à un moment ou à un autre.
– Je te l'ai déjà dit que je suis amoureuse de lui.
– Ce n'est pas à moi qu'il faut le dire, mais à lui ! Libère-toi de ce poids une bonne fois pour toutes.
–Tu me vois dire à cette super méga star : je suis amoureuse de vous.
– Oui. Et l'avantage, c'est que vous êtes déjà mariés !

Elle ricane au bout du fil. Je l'étranglerais !

– Ah ah. Et toi, tu as dit à ton Petru que tu l'aimes ?

– Pas plus tard que ce matin figure-toi. Nous nous sommes déclaré nos sentiments depuis plus de trois mois déjà. Je n'ai pas attendu, moi. Je lui ai dit de suite.

Je n'aurais jamais pensé qu'elle oserait faire le premier pas avec un homme. Elle me détaille à son tour l'épisode de la déclaration entre elle et Petru. Très romantique, lors d'un pique-nique sur la plage de Saint-Florent par une belle journée de printemps. Je me réjouis pour elle, elle est tellement épanouie dans sa relation avec son amoureux.

Je crois que j'ai un beau-frère désormais.

Le sommeil tarde ce soir à venir. Je revis chaque instant passé avec lui sur la plage, chaque affleurement, chaque baiser... Je suis une bouilloire en ébullition, je me tourne et me retourne dans mon lit, je jette les draps au sol, j'enfouis ma tête dans mon oreiller... Mais les images de notre après-midi s'incrustent dans mon cerveau et se mélangent avec celles, toujours très nettes, de mes nuits torrides passées dans ses bras. D'autres plus floues s'interposent, indéchiffrables. Je me réveille le lendemain matin avec un mal de crâne épouvantable et de mauvaise humeur. Les jours suivants, je me traîne à travers la maison et même au travail. Un obscur malaise s'est emparé de mon être. Pas une dépression, juste une nausée permanente désagréable. Je dissimule à mon entourage mon état d'esprit avec des rires et des plaisanteries. Je joue et bats régulièrement mon petit frère à son nouveau jeu vidéo, je me fais par contre laminer au scrabble par ma mère et j'incite Julia à téléphoner à Pierre-Marie. Grâce à mon insistance, ils vont à nouveau se rencontrer, dans un premier temps pour le travail. J'espère que cet échange aboutira à une relation plus intime.

***

Je n'ai pas envie de demeurer solitaire en ce samedi soir. J'ai envie de prendre ma voiture et d'aller à Bastia. Un resto avec Marie et son Petru ? Ou un ciné ? J'ai besoin de me détendre.

– Oh ! Désolée Sarah. Ce soir, nous sommes invités chez la sœur de Petru qui pend sa crémaillère. En fait, nous sommes déjà à Nîmes. J'aurais dû t'en parler plus tôt, tu aurais pu venir t'éclater et danser avec nous. Elle a même fait installer une petite piste de danse sur sa pelouse.
– Une prochaine fois. Amusez-vous bien.

Cela me ramène à la réception, quand j'ai dansé dans ses bras...

Bah, un bon livre devrait suffire à me faire passer une agréable soirée. Je m'endors, le dernier best-seller d'Elisabeth George sur la poitrine.

Les images floues reviennent... Je m'approche, tentant de régler l'objectif... Des silhouettes... Des lumières tamisées... La musique, forte. Je suis assise, dans un fauteuil en cuir noir ourlé de fils d'or. Ce bruit !

Assourdissant. Je n'entends pas, quelqu'un essaie de me parler, mais sa voix est couverte par le rythme dance de Zinc et son « Show Me ». Il est loin, je dois me pencher afin de distinguer ses traits. Je distingue mieux mon environnement, ma vue s'adapte aux flashs incessants des spots et des boules à facettes accrochées au plafond. Le bar est au fond à droite, j'ai très soif et si chaud ! Il faut que je me lève pour me commander un verre d'eau. Mais ce visage, devant moi, il m'en empêche. Il veut danser avec moi. Je ne le vois pas, je ne peux pas aller sur la piste avec l'homme invisible. Il m'attrape la main, il insiste et ces yeux... Ces yeux perçants !

Non !

Je crie. Je suis assise sur mon lit, en sueur et je grelotte de terreur.

Soudain, la lumière jaillit :

– Sarah, tout va bien ? Je t'ai entendue hurler.

Ma mère se tient au pied de mon lit, à moitié endormie.

Il était là ! Avec elle ! Il sait tout...

– Sarah, ma chérie ?

Je me secoue pour ôter cette image de ma tête :

– Oui. Maman. Juste un cauchemar. Va te recoucher.

– OK. Rendors-toi.

Une fois qu'elle a refermé la porte, je me précipite sur mon téléphone. Touche Un. Mais au moment d'appuyer dessus, je suspends mon geste. Il a déjoué la police et les différents services de sécurité. Avec elle, il a piraté les serveurs de l'entreprise de Hace et les portables. Je ne peux me fier à aucun moyen de communication. Comment vais-je lui annoncer que ma mémoire a restitué des souvenirs du « trou noir » ? Ni téléphone, ni ordinateur. Une lettre ? Et non, il peut l'intercepter aussi... Et où est donc le temps béni du télégraphe ?

Allongée en croix sur mon lit, je fixe le plafond de ma chambre. Des rais de lumière provenant du lampadaire municipal situé juste en face de ma fenêtre filtrent à travers les persiennes et des bandes orangées dansent sur mes murs. Elles m'hypnotisent, et finalement je sombre à nouveau dans un sommeil contrarié.

Mon réveil m'indique sept heures du matin. Je m'étire lascivement sous les draps. Le soleil éclaire toute la pièce. Je sais que je n'ai qu'une seule et unique solution.

~ Faux mariage,  Vrai désir ~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant