Chapitre 19

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Charlotte

Dès son retour de Madrid, Charlotte n'avait pas pu résister et était allée espionner Kristen sur les réseaux sociaux, comme une ado. Elle n'avait pas réalisé leur ressemblance le soir d'Halloween. La vue de ses selfies fut un véritable choc. Tout s'était mis en place. Sa ressemblance avec Kristen. La surprise sur les visages de son entourage lorsqu'elle les avait rencontrés pour la première fois. Les allusions perfides, mais vraies, de Bianca.

Substitut.

Elle était un putain de substitut à la vie qu'il aurait voulu avoir avec Kristen. Elle l'avait attiré uniquement parce qu'il la voyait, elle. Pas Charlotte. Quand elle pensa à tout ce qu'elle lui avait confié. Sa maladie. Ses complexes. Ses angoisses. Ses enfants.
Putain.

Même si c'était involontaire, Lucas avait utilisé ses enfants, en particulier Hugo. Elle le détestait en cet instant, mais elle se détestait encore plus. D'avoir plongé si vite, si profond. D'avoir embarqué Camille et Hugo dans cette situation. De s'être laissée bercer par l'illusion qu'elle s'était créée que quelqu'un comme lui, magnifique, célibataire, trentenaire, sans enfant, en plein ascension professionnelle, pouvait s'emmerder avec quelqu'un comme elle.
Oubliés les élans de compassion et d'amour face à la détresse de Lucas le lendemain de la soirée désastreuse d'Halloween. Charlotte préféra se concentrer sur sa colère. Il lui était plus facile de lui imputer les torts sans trop chercher le pourquoi du comment. Alors comme d'habitude, Charlotte camoufla sa souffrance et retourna s'abriter dans sa grotte. Ses amies, ses collègues et même Tom s'inquiétaient. À force de les repousser, elle en devenait agressive. Quand un soir, elle cria sur les enfants, encore excités de leur journée au moment du coucher, Charlotte craqua et leur demanda pardon en sanglotant. Sortir de sa spirale d'isolement lui demandait un effort. Elle avait fait confiance à Lucas et s'en été mordu les doigts.

Au delà de la douleur des mensonges de Lucas, un autre défi l'attendait. Depuis deux semaines, les douleurs dans son bas ventre s'étaient intensifiées, ainsi que des vertiges, migraines et elle s'était mise à avoir des saignements. Avec son passé médical, Dr Carter n'avait pas voulu prendre de risque et l'avait envoyé faire un check-up complet. Mammographie, échographie pelvienne, scanner, prise de sang etc.
Comme un arrière goût de déjà vu.
Malgré les lectures d'articles scientifiques et les conseils de son médecin, Charlotte n'arrivaient pas à raisonner. Persuadée d'avoir à faire à une récidive, elle se préparait au pire, c'est-à-dire une issue plus fatale que lors de sa première bataille. Les récidives étaient souvent plus agressives.

Charlotte se retrouvait à suffoquer sous les vagues d'angoisse et n'arrivait plus à raisonner.
Sa mère débarqua un soir où Charlotte était seule, vautrée devant la télé, une bouillotte sur le ventre pour tenter d'endiguer la douleur, attendant que les anti-douleurs agissent. En voyant la mine et la détresse de sa fille, Ann s'assit sur le canapé, inspira longuement avant de se lancer:

— J'ai laissé passer beaucoup, trop certainement, de choses. En ne voulant pas te bousculer, je n'ai pas su te guider. Et pour ça, je suis désolée ma chérie.
— Que se passe-t-il ? Henry sait que tu es là ? Charlotte tenta de se redresser, inquiète du ton grave employé par sa mère.
Elle ne put masquer une grimace quand ses entrailles se contractèrent sous le mouvement.
— Non, ne bouge pas Charlie. J'ai besoin d'aller jusqu'au bout. J'ai hésité à propos de la façon de procéder. Non, Henry ne sait pas que je suis ici. C'est une discussion que nous aurions dû avoir toutes les deux et il y a longtemps. J'ai été lâche et pour ça, je te demande pardon. Charlotte commença à vraiment angoisser.
— Mais de quoi tu parles ? Tu es malade ?
— Laisse moi terminer, coupa Ann. J'ai évité de te brusquer car tu avais suffisamment souffert comme ça. Le divorce, le départ de France, ton intégration aux États-Unis. Et puis il y a eu Henry et les jumeaux. J'étais tellement concentrée à aller de l'avant, à vouloir me prouver que je pouvais y arriver que je t'ai laissée en chemin.

Épaules voûtées, les larmes aux yeux, la voix chevrotante, Ann semblait avoir un poids trop lourd à porter. Charlotte se contenta de le regarder, émue. Sa gorge nouée l'empêchait de parler. Entendre les mots qu'elle avait tant attendu était une épreuve mais la mère comme la fille avait besoin de comble l'abîme qu'elles avaient creusé au fil des années.

— J'ai été élevée par des parents matérialistes qui pensaient que du moment que j'avais tout le confort possible, j'étais heureuse. Mais il me manquait l'essentiel. Leur amour et leur soutien. Je pensais que j'avais trouvé ce qu'il me manquait avec ton père...Je ne vais pas te refaire l'histoire, tu l'as vécu aussi. Notre retour en Californie était l'occasion pour moi de faire les choses comme je voulais le faire. C'était mon choix. Pour ton bien. J'ai voulu mettre le plus de distance entre toi et la personne qui aurait du te vénérer au lieu de te protéger. Je l'ai tellement haï pour ça !

Ann se leva pour se poster à la fenêtre, face à la nuit, agitée par ses paroles et les souvenirs qu'elle venait de soulever. Charlotte la rejoignit, avec difficultés. La mère et la fille se regardèrent dans le reflet de la vitre. Leur ressemblance physique était frappante mais elle n'avaient pas hérité uniquement de ses traits. Comme Charlotte, Ann s'était battu et pendant longtemps. Le moment était important pour leur relation. Ann pesait chaque mot et ne lâcha pas Charlotte des yeux.

— Comme mes parents, j'ai cru que t'offrir "le rêve américain" suffirait à te rendre heureuse. La maison, la famille, les vacances. Je voyais que tu souriais peu. Henry le voyait aussi mais je ne voulais pas qu'intervienne. Quelle fierté à deux balles j'ai eu. J'ai mis ça sur le compte du changement et de la barrière de la langue. Et puis j'ai mal pris ton désir de partir en France faire tes études. Après tout ce que j'avais fait pour toi, tu retournais vers ton père !
Charlotte se redressa, piquée au vif.
— Non, laisse-moi finir, s'empressa d'ajouter Ann en voyant sa fille ouvrir la bouche pour objecter. Je n'ai pas dis que c'était ton intention. Je te dis que c'était mon ressenti. Et quand bien même tu voulais retrouver ton père, c'était ton droit et j'aurais dû te soutenir. Au lieu de ça, je t'ai un peu plus éloignée de moi. Et j'ai refais la même chose quand tu as divorcé Tom et avec ton can... la maladie. Je pensais respecter ton choix. Je t'ai aidé matériellement et avec les enfants mais je ne t'ai pas soutenu.
— Pourquoi tu me dis tout ça maman ? ne put s'empêcher de questionner Charlotte.
— Parce que tu reproduis les mêmes schémas. Tu t'enfermes dans ta bulle pour laisser passer l'orage, sans laisser personne t'aider. Aujourd'hui, je vais crever ta bulle et tu vas me laisser y entrer. Je ne te donne pas le choix. Ann se retourna, prête à affronter sa fille, malgré elle si il le fallait. Elle se battrait pour Charlotte, comme elle aurait du le faire depuis toutes ces années.
— Il n'est jamais trop tard pour bien faire les choses. Je veux être là car tu affrontes beaucoup de choses en ce moment. Je sais pour Lucas. Mais il y a autre chose. Tu es nerveuse. Tu souffres physiquement. Tu as maigris. Je suis inquiète pour toi. Laisse-moi t'aider, ma chérie.

Charlotte lâcha les barrières qu'elle avait érigé et s'effondra dans les bras de sa mère. Lui confier tout ce que lui pesait sur le cœur. Ses doutes quant au retour de Kristen, sa peur de faire du mal involontairement aux enfants, ses douleurs et la peur des résultats de ses examens. Ensuite Charlotte pleura, épuisée par ces années de retenue envers sa propre mère, sa volonté d'être une petite fille sage pour ne pas être une charge supplémentaire. Son besoin de reconnaissance, d'être l'intrus dans l'équation. Ses aveux bouleversèrent sa mère. Elle se doutait des dégâts que son attitude avait causé à sa fille et chacun de ses mots s'étaient plantées dans son coeur et dans son esprit. Ann demanda pardon à sa fille et Charlotte réalisa l'effort et l'amour de sa mère pour s'offrir ainsi. Elle se sentait aimée et apaisée, même si elle était trop vieille pour se faire câliner, elle ne bouda pas son plaisir. Ann insista pour la soulager avec les enfants, le temps que Charlotte gère ses examens médicaux. Quand elle voulut aborder le sujet de Lucas, Charlotte grogna et s'enfonça dans un silence boudeur. Ce n'est que partie remise, ma fille...

Know Your Worth [En ré-écriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant