Chapitre 6.3

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Charlotte

Lucas lui demanda de mettre un jean, un blouson et des bottes pour une balade à moto. Elle y avait songé en le voyant arriver sur sa Ducati rouge et noir. Il était trop sexy avec son casque et sa veste molletonnée. La jeune femme n'avait jamais fait et elle était nerveuse. Sur ses conseils, elle tressa ses cheveux et prépara un sac à dos pour tenir le reste de l'après-midi. Lucas l'aida à enfiler son casque, expliqua quelques règles de sécurité, surtout comment ne pas le gêner dans les manœuvres, surtout les virages.

Elle grimpa derrière lui et quand il démarra la bécane, elle sentit le moteur ronronner entre ses cuisses. C'était une sensation étrange.

– Waouh ! J'adore. Ça vibre !

– Je connais autre chose qui vibre, ricana-t-il.

Elle lui donna une tape et il lui caressa la jambe avant de démarrer doucement. Une fois hors de la ville et la route dégagée, Lucas accéléra. Charlotte s'accrocha à sa taille et se colla un peu plus contre son dos. Elle savourait chaque minute. La présence de Lucas rendait tout ça magique. Elle était en sécurité et grisée par la vitesse. Ils roulèrent vers Napa Valley, la célèbre route des vins. Elle la connaissait, mais semblait tout redécouvrir avec lui.

Ils firent une halte pour que la jeune femme se dégourdisse les jambes puis flânèrent, en se tenant la main. Lucas était très tactile et Charlotte, qui n'aimait pas ça d'habitude, se laissait faire. Elle s'étonnait même de chercher son contact. Ils s'attablèrent à une terrasse. Lucas avait gardé ses lunettes fumées sur le nez, mais s'était débarrassé de sa veste, les jambes croisées sur ses chevilles. Il sirotait son café et fixait Charlotte par-dessus sa tasse.

– Comment ton cancer a-t-il été diagnostiqué ?

Paf. Retour à la réalité.

Elle prit le temps de choisir ses mots, la replongeant dans cette période compliquée, angoissante et douloureuse.

– Quand Hugo a eu un an, j'ai commencé à sentir une boule dans le sein droit. J'avais eu des soucis de retour de couches à cause de la césarienne, j'ai pensé que c'était hormonal. Rapidement, il a commencé à grossir et devenir chaud. Quand j'ai consulté, on m'a dit que c'était un souci d'engorgement, car j'avais arrêté d'allaiter mon fils quelques semaines plus tôt. J'ai insisté et six mois plus tard, lors d'une IRM, ils ont vu une masse suspecte. Tout s'est ensuite vite enchaîné. La biopsie était positive. Carcinome canalaire in-situ, récita-t-elle. On m'a retiré le sein et la chaîne ganglionnaire du bras. Les nouvelles biopsies ont montré que cette forme agressive était tout de même à un stade précoce et il n'y avait pas de métastase. Tout s'est arrêté comme ça a commencé. D'un coup. Pas de rayons ni de chimiothérapie. Pas besoin, selon les médecins. J'ai gagné la bataille en quatre semaines. J'y ai laissé un sein, une partie de la sensibilité et la force de mon bras.

Mais aussi son mariage et l'innocence de ses enfants.

– Mais j'ai gagné le droit de continuer comme si de rien n'était. À part les innombrables séances de kiné pour retrouver la mobilité de mon bras et les contrôles semestriels.

Le silence se fit. Lucas, posa sa tasse, retira ses lunettes, prit sa main et embrassa l'intérieur de mon poignet.

– Tu es encore plus incroyable que je ne le pensais. Je t'admire. Tes enfants ont de la chance de t'avoir comme modèle.

Ses mots apaisèrent mon cœur et mon angoisse, telle une douce couverture tiède. Elle se sentit écoutée et considérée. Elle sut à ce moment-là que Lucas ne la jugerait pas et elle se confia un peu plus.

– Tu sais, quand ça t'arrive, tu ne te poses pas de question. Tu fonces, tu entres en mode « guerrier ». Il faut tenir. Pour les autres aussi. Les enfants étaient si jeunes, ils ne comprenaient pas. Ma mère était à la limite de la dépression. C'est après que c'est un peu plus dur, quand la pression redescend.

Elle regardait toujours leurs mains jointes.

– Et ton ex ? Enfin ton mari à l'époque ?

– Il n'a pas supporté la situation. Ou alors je ne lui ai pas laissé l'occasion de m'aider, quand j'y repense. Il s'est isolé, n'arrivait pas à gérer tout ça. La grossesse difficile d'Hugo, la césarienne en urgences, puis le cancer, la mastectomie. Nous nous sommes éloignés.

– Tu as tout géré alors que c'était toi qui étais malade ? s'agaça-t-il.

– Vu comme ça. Avec un peu de recul, et l'aide de la psy du centre de soins, être en contrôle de cette situation me permettait aussi de ne pas tout subir, de maintenir un semblant de normalité. Ainsi, le cancer ne contrôlait pas tout à fait les aspects de ma vie. Lucas, je ne cache pas que j'ai eu un cancer, mais cela ne me définit pas. Le cancer m'a pris un sein. C'est tout. J'ai décidé qu'il n'aura pas plus de prise que ça. Je refuse qu'il me prenne autre chose. C'était un fardeau que je trainais. J'essaye d'en faire un bagage que je porte en moi, comme n'importe qui aurait des bagages, qu'ils soient physiques ou émotionnels.

Le mutisme de Lucas lui fit se poser des questions. Était-elle allée trop loin dans les confidences ? Elle voulait se montrer honnête, mais peut-être qu'elle en avait trop dit ?

– Tu es une putain de guerrière, tu es impressionnante.

Elle pouffa et il haussa un sourcil.

– Les amazones, reprit-elle. Ces guerrières se coupaient un sein pour mieux bander leur arc et se battre. C'est ainsi qu'on appelle les femmes qui ont eu une mastectomie. Des amazones.

– Ah ! Tu es une amazone, cela explique pourquoi tu chevauches aussi bien ma moto. Tu te débrouilles très bien par ailleurs, j'espère juste que tu n'auras pas trop mal aux jambes demain, déclara-t-il en se levant et en venant l'embrasser. Tu es incroyable ma belle Charlie, je n'ai juste pas les mots. Mais sache que chaque minute passée avec toi renforce cette impression.

L'immense sourire de la jeune femme lui creusa une fossette, heureuse et soulagée de cette discussion et de conclusion sur une note plus légère. Comme s'il avait compris qu'il ne fallait en faire tout un plat.

La journée fila et ils rentrèrent au coucher du soleil. Sur le chemin de retour, Charlotte invita Lucas à passer la soirée ensemble et il semblait clair pour tous les deux que même si le jeune homme restait dormir, il ne se passerait rien de plus que ne voudrait Charlotte. Ils s'arrêtèrent rapidement pour que Lucas s'achète du change et rentrèrent.

Après s'être douchés et changés, ils préparèrent un plateau composé de fromages, raisins et crackers et s'installèrent sur le tapis moelleux, dos au canapé. Charlotte lui fit découvrir une série de courts métrages sur Netflix, « love, death and robots ». Il accrocha tout de suite, appréciant l'esthétique des dessins, les animations et même les histoires. Dommage qu'aucune ne se terminait bien.

Ils passèrent la soirée entre Netflix, confidences, chamailleries. Lucas ne passa pas le cap des baisers et des caresses appuyées. Et même si Charlotte se sentit sexuellement frustrée, son cœur était apaisé.

Lucas était resté. 

Know Your Worth [En ré-écriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant