Know Your Worth [En ré-écriture]

Chapitre 4.1

Charlotte

La routine Charlotte eut vite repris le dessus et referma la fenêtre de son week-end avec ses amies et Lucas, comme balayée par une rafale. En arrivant chez sa mère, avec un peu en retard, les enfants étaient en train de se disputer, certainement fatigués par la veille, passée à regarder la télé plus tard que d'habitude. Ann ne dit rien, ne lui posa aucune question, se contentant de lui demander si elle s'était amusée et lui remit le sac de change.

Fin de la discussion.

Charlotte voulait se confier à sa mère. Lui avouer son envie de mieux le connaitre et son attirance physique pour le jeune homme. Mais elle n'osa pas. Elle savait pourtant que c'était sa faute si leur relation mère-fille avait pris de la distance. Comment faire pour réparer les dégâts ? Était-ce encore possible ?

Il était précoce d'en parler et de donner de faux espoirs. Il fallait qu'elle passe outre ce qui la retenait de faire le premier pas. Sa peur de l'engagement, de l'abandon, voire de la trahison. L'empreinte de l'infidélité de Tom était toujours aussi vive. Elle redoutait surtout la réaction des enfants.

Elle allait trop vite en besogne.

En effet, le jeune homme penserait surement à tête reposée que ce serait trop compliqué et n'en vaudrait pas la peine puis finirait par l'ignorer. Elle mit de côté la déception qui la saisit à cette idée et rentra avec ses deux petits démons excités chez elle.

Le lendemain sonnait la dernière semaine des vacances scolaires et bien que les enfants passaient la journée au centre aéré, Charlotte courra partout, en plus de son travail, pour préparer la rentrée. Elle était en retard sur l'achat des fournitures, Tom l'ayant finalement informé à la dernière minute qu'il la rembourserait sur les frais, puisqu'il n'avait pas le temps de le faire.

Ben voyons.

Bien entendu, ils souhaitaient être présents pour choisir eux-mêmes leurs affaires. Elle dut donc attendre le soir, une fois ses grenouilles sorties de la garderie, à un moment où les magasins étaient bondés d'enfants excités et de parents - plutôt des mamans - fatigués.

Camille commençait à savoir ce qu'elle voulait. Elle était dans sa phase Harry Potter, et en particulier Hermione, ce qui signifiait qu'elle n'aimait rien d'autre et qu'elle râlait constamment, boudeuse, tandis que Hugo, pragmatique, réclamait « des chaussures qui couraient vite ».

Enfin au calme dans son lit, les enfants couchés et la maison à peu près rangée, que Charlotte se permit de songer à Lucas. Devait-elle tenter d'approfondir leur lien naissant ou laisser les choses se poursuivre ? Attendre que le jeune homme fasse le premier pas ?

Elle reçut très rapidement une demande d'invitation de sa part sur les réseaux sociaux et commença à le suivre en échange. Son compte n'était pas privé, elle pensa que c'était aussi pour donner de la visibilité à son étude d'architecte. Le métier de Lucas était très intéressant, et technique, mais dépendait du marché et donc des clients. Son associé et lui se devaient avoir un maximum de couverture médiatique pour pouvoir être attractif, surtout en face de la concurrence sur ce secteur et dans cette ville. Rien qu'en allant sur internet, elle avait identifié dix-neuf cabinets dans le même secteur !

Heureusement, les interactions qu'elle pouvait avoir dans sa profession étaient plutôt faciles puisque le cœur des échanges qu'elle avait était de nature scientifique, factuels. Les débats étaient donc challengeant, à se demander si l'approche était pertinente ou les résultats exploitables et surtout de partager le fruit de son travail avec ses « clients », principalement des agriculteurs, exportateurs et autres instituts publics partenaires.

Les seules personnes qui l'exaspéraient étaient celles qui la rappelaient à la réalité à coup de respect du budget, signature de contrats, indicateurs de performance, blablabla... Elle les listait comme des tâches à effectuer dans son mode d'organisation et prenait un malin plaisir à barrer plusieurs fois ces activités une fois terminées sur sa ToDo List.

Toutefois, ce soir-là, ce fut sur le profil Instagram de Lucas qu'elle s'attarda. Ses photos étaient géniales, elles ne semblaient pas retouchées, en tout cas pas avoir des filtres du réseau social. Les couleurs du ciel, les angles de prise de vue. Elle aperçut quelques portraits, reconnut son frère, et devina son ami Jake. Il y avait aussi quelques selfies de Lucas, souriant ou faisant des grimaces. Elle nota en particulier ses yeux pétillants et sa lèvre inférieure, légèrement plus charnue. Il y avait bien entendu plein de clichés de lui avec sa moto mais un surtout retint son attention.

À califourchon sur son engin, face à l'objectif, les coudes posés sur le guidon et la tête inclinée vers le bas. Sur le portrait en noir et blanc, le jeune homme portait un blouson en cuir sombre, un jean plus clair et son casque intégral avec la visière fermée. Seuls les chromes étincelants apportaient une touche de lumière. Elle ne saurait dire si c'était sa posture ou l'énergie qu'il émanait, mais elle pouvait sentir sa détresse. Elle lâcha spontanément un cœur sous la photo.

Elle se força à délaisser son téléphone pour reprendre la lecture de son polar, « The Perfect Marriage ». L'histoire de Sarah, célèbre avocate, devant défendre sa tendre moitié, accusé du meurtre de sa maîtresse, avait séduit Charlotte. Elle se retrouvait en Sarah, mais le point de vue de l'époux, décrit comme une victime et un homme faible, la révoltait. C'était un peu facile de se trouver des excuses pour expliquer une infidélité. Lutter demandait plus d'efforts. Mais au fil de sa lecture, la dichotomie de l'épouse bafouée et du mari n'écoutant que ses bas instincts était plus complexe. Bien sûr il ne s'agissait que d'une fiction, mais les questionnements que Charlotte eut sur le comportement de la protagoniste et son implication dans la chute de leur mariage la firent cogiter.

Après tout, c'était bien l'objectif des histoires, romans, contes ou toute autre forme de récit, non ?