Chapitre 6.1

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Charlotte

Des chatouilles réveillèrent Charlotte. Dans un demi-sommeil, elle entendit un gloussement. 

Le rire de Lucas

Elle mit quelques instants à comprendre qu'elle s'était assoupie et qu'il ne s'agissait pas de papouilles mais plutôt de légers baisers dans le cou et le jeune homme commençait à l'enlacer par-derrière. Maintenant bien réveillée, elle réalisa qu'il avait glissé une main dans sa robe qui s'était partiellement déboutonnée et caressait son ventre nu. Elle réalisa qu'il risquait de toucher ses cicatrices et ses laideurs.

La veille, il avait su trouver les mots pour la rassurer, mais là tout de suite, c'était l'appréhension qui la gagna. Lucas sentit immédiatement sa tension et arrêta tout mouvement.

– Charlotte, tout va bien ?

La panique monta. Il allait la découvrir. Telle qu'elle était. Elle allait voir de nouveau le dégoût dans les yeux d'un homme. Les larmes montèrent trop vite et elle aurait du mal à les retenir très longtemps.

– Je... hum... j'avais oublié que j'avais un rendez-vous cet après-midi... je... dois aller me préparer.

Elle se leva à toute vitesse en tirant la robe vers le bas, et s'enfuit vers la salle de bain en passant devant un Lucas stupéfait, dans son lit. Magnifique. Érotique.

Hors de portée.

À l'abri, ses larmes coulèrent en silence. C'était quelque chose qu'elle avait appris à faire à la fin de son mariage dans la salle de bains, ou pendant les trajets en voiture ; lui offrant une échappatoire. Mais toujours sans un bruit, pour ne pas inquiéter les enfants. Elle inspira longuement pour retrouver le contrôle de sa voix et lui crier à travers la porte.

– Écoute Lucas... j'en ai pour un moment. Je ne veux pas te faire perdre ton temps. Tu peux te faire un café avant d'y aller. Y'a pas de souci.

– Ok !

Elle aurait dû être soulagée par sa réponse. Elle aurait dû être contente d'avoir eu raison de lui offrir une porte de sortie. Celle qu'il n'avait pas prise au café à San Francisco. Il pensait que ses bagages n'étaient rien. Grossière erreur. Elle ouvrit les mitigeurs de la douche pour couvrir les bruits de ses sanglots. Elle avait appris à pleurer en silence, pas à les retenir indéfiniment.

Charlotte ne cachait pas le fait d'avoir eu un cancer. Mais elle ne le criait pas sur les toits non plus. Une fois que les gens le savaient, ils la voyaient différemment. Elle ne devenait plus que ça. Ils s'apitoyaient, ou étaient curieux, du genre « ça t'a fait quoi de perdre tes cheveux ? », ce à quoi elle leur répondait souvent « les cheveux, ça repousse, pas les seins malheureusement ». Ils plaignaient aussi les enfants, ces pauvres petits, comme si elle était responsable d'être malade et de leur causer tant de chagrin.

Et puis il y avait eu la réaction de son ex-mari. Car seul Tom avait pu voir ses cicatrices. Elle lui avait pardonné de l'avoir trompé, elle n'avait pas de temps à perdre à en vouloir aux gens. Mais elle n'avait jamais réussi à oublier son expression la première fois qu'il l'avait vue nue. Sa moue dégoûtée, incapable de la regarder en face, comme si son corps était réduit à cette ligne barrant son buste, marquant définitivement l'emplacement d'un sein qui n'existait plus.

Aujourd'hui ses cicatrices étaient atténuées, n'étaient plus boursouflées, ni rougies. Certaines étaient recouvertes par un grand tatouage. Toutefois, la peau restait légèrement plissée le long de ses pourtours, comme les bords d'une faille, d'un secret enfoui. Impossible à cacher malgré l'encre. Le bombé qui remplaçait son sein faisait illusion. La chirurgienne disait que c'est très joli. Charlotte disait que c'était pratique.

Ces opérations, Charlotte les avait voulues. Elle l'avait fait pour elle et était très contente du résultat esthétique. Mais elle ne pouvait oublier. Elle devait faire avec. Les cicatrices psychologiques étaient les plus longues à guérir et le regard de l'autre comme une barrière infranchissable. Elle se plaça sous le jet brûlant et se savonna dans la foulée. Prendre des douches sans fin était un lointain souvenir. Passer du temps avec son corps à découvert et à la cruelle lumière du jour était une épreuve. Elle avait été complexée toute sa vie. Enfant, elle enviait les cheveux raides et blonds de ses camarades. Ado, elle miroitait les seins de sa meilleure copine. Adulte, elle rêvait de cuisses plus fines, une taille plus marquée. Après la maladie, ces complexes étaient toujours présents, mais pas aussi importants. Surtout quand le symbole de la féminité, de la maternité, signerait de votre perte si vous ne renonciez pas à vous en séparer.

Assez de se lamenter.

Elle savait qu'elle avait sa part de responsabilité dans cette situation. Elle avait flirté à cette soirée d'anniversaire. Elle avait accepté de revoir Lucas. Elle avait initié leur premier baiser et l'avait même invité chez elle. Même s'ils n'avaient pas couché ensemble, ils avaient été intimes. C'est juste qu'elle n'était pas prête à affronter son regard après ça. Et maintenant il était parti. Fin.

Il lui fallait garder l'esprit occupé. Elle s'habilla plus confortablement, le temps que son ébauche de plan se forme. La liste des choses à faire n'était pas un problème quand on était maman, célibataire, et un samedi. Elle passa dans sa chambre pour ouvrir les fenêtres et s'aperçut que les affaires de Lucas n'étaient plus là.

C'est ce qu'elle voulait, non ? Le faire partir avant de le voir trouver une excuse bidon.

Oui. N'empêche... 

Know Your Worth [En ré-écriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant