Chapitre 20

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- Charlotte -


La discussion avec sa mère avait été douloureuse, mais libératrice. Depuis, Charlotte ressentait une forme d'apaisement. Elles échangeaient régulièrement, même si leur nouvel équilibre restait timide et réservée. Ann l'encourageait à renouer avec Lucas. Au moins pour que Charlotte soit certaine de prendre sa décision en tout état de cause.

Mais pour le moment, elle devait arrêter de faire l'autruche, contacter le Dr Carter et passer des examens. Les résultats de ses analyses détermineraient son futur. Le sien, celui de ses enfants et sa relation avec Lucas. Et la météo ne pouvait être plus en accord avec l'humeur de Charlotte. Le regard dans le vide à observer le crachin gris tomber à travers la fenêtre, elle souffla doucement sur son café brûlant, une playlist de chanson française dans les oreilles pour échapper au brouhaha de la salle d'attente. C'était un des seuls héritages de son père qu'elle avait maintenu dans sa vie, à part son nom de famille. Enfant, elle trouvait ces chansons vieillottes et désuètes. Sa mère et elle écoutaient de la musique plus actuelle dès qu'elles étaient toutes les deux.

À force d'entendre du Gainsbourg, Balavoine, ou encore Goldman, elle en était arrivée à apprécier ses mélodies. « Je suis venu te dire que je m'en vais » était passé en boucle pendant des jours après le départ de son paternel. Charlotte avait pris le temps de lire les paroles. Comme une poésie. Décortiquer leur sens caché.
La tête contre le mur, les yeux fermés, un léger sourire aux lèvres, elle reconnut les premières notes de « Requiem pour un con ». Le message était clair, non ? Elle se délectait des mots qu'elle n'aurait pas mieux dit à sa place puis la mélodie sulfureuse de « Initials B.B. » enchaîna quand son téléphone vibra. Sa mère lui confirma avoir récupéré les enfants à la sortie de l'école. Tom étant en voyage dans le nord de l'État, Charlotte avait de la chance de pouvoir s'appuyer sur elle.

Diane revint s'asseoir à côté d'elle en soufflant.
- Ils ne savent pas quand le docteur va te recevoir, grogna-t-elle.
- Patience, petit padawan, susurra Charlotte d'une voix apaisante. Il y a du monde et il doit y avoir du retard. Bon en attendant, explique-moi quel est ton plan d'attaque pour partager ta vie entre Los Angeles et San Francisco.

Son amie devina son besoin de changer de sujet et se prêta au jeu. Elle lui parla de son envie de s'installer plus durablement ici. Son métier d'artiste lui permettait d'être nomade, mais sa phobie de l'engagement la retenait à Los Angeles. Elle était en panne d'inspiration depuis son vernissage et le changement de paysage semblait lui faire du bien. Charlotte avait vu quelques croquis dans son carnet, plus coloré qu'à son habitude. Pour rajouter à son dilemme, Adam était un amour avec elle, aux petits soins, ce qui effrayait la jeune femme. Elle ne sentait pas à la hauteur des sentiments et des petits gestes du restaurateur et la connaissant, Charlotte pensait qu'elle allait fuir.
« Syndrôme d'autosabotage », nargua Diane. Charlotte n'insista pas, de peur de braquer son amie, mais se promit d'en toucher un mot à Adam. Il avait beau être le frère de Lucas, elle l'appréciait et avait envie de les voir heureux.

À son tour, Diane souligna les effusions de Lucas par messages:
- Les North sont forts pour faire des déclarations, admit Diane. Moi je ne suis bonne qu'à donner des coups de pied aux petits culs peureux comme le tien. Même s'il est très beau, nuança-t-elle avec un mouvement de sourcils.

Charlotte lui tira la langue, en manque de réplique.
- Je n'ai pas besoin qu'on me botte les fesses, j'ai besoin de savoir si j'ai un avenir.
- De nous deux, c'est moi la défaitiste, riposta l'artiste. Si tu t'y mets, on a qu'à se jeter d'un pont et Marina ira nous repêcher.
- T'es vilaine, ne dis pas des choses comme ça ! s'écria Charlotte en se redressant, inquiète. Comment tu peux envisager une telle chose ! Je pensais que tu avais laissé ça derrière toi, continua-t-elle avec douceur en prenant sa main. Tu sais bien que je ne peux pas songer à un avenir avec Lucas si je suis de nouveau malade.

Entendre sa propre voix rauque et chevrotante concrétisait toutes ses angoisses qu'elle gardait enfouies depuis des jours. Elle refusait de se montrer faible, elle lutterait. Jusqu'au bout. Diane se déplaça pour poser sa tête sur l'épaule de Charlotte, donnant un étrangle spectacle, car son amie, bien plus grande qu'elle, devait se courber dans un angle peu confortable.
- Il a le droit de connaître la vérité. Et de décider s'il choisit d'être avec toi.
L'émotion lui serra la gorge.
- J'ai peur, avoua-t-elle échapper dans un filet de voix.
- Je sais, ma belle. Tu n'as pas à faire ça seule. Laisse-nous être là pour toi, implora Diane en tourniquant son doigt autour d'une mèche bouclée de Charlotte.

"Laisse-moi t'aider, ma chérie." C'étaient les mots de sa mère. Et maintenant ceux de Diane. Charlotte avait envie de les laisser entrer dans sa bulle. Mais comment faire ?

- Lucas a d'autres soucis en ce moment. Il doit déjà gérer son propre deuil. Et si...
Diane se raidit, se leva en passant son sac sur son épaule et fusilla Charlotte du regard.
- Si tu veux le faire seule, vas-y. Tu te morfonds dans ta merde au lieu de comprendre que les gens qui t'aiment ne vont pas te laisser te battre en solo. Si tu préfères donner plus de valeur au comportement de Tom qu'à celui de ceux qui ont toujours été là, ainsi soit-il. Je prendrai des nouvelles par ta mère, si elle en a.

Le ton de Diane avait monté et les patients écoutaient en faisant de gros yeux. Charlotte allait pour répliquer quand son amie la fit taire un mouvement de la main.
- Ne dis rien que tu ne penses pas. Tu confonds indépendance et entêtement. Si tu veux le faire seule, tu seras seule. Sur la ligne de départ comme sur la ligne d'arrivée. Mais on respectera ton choix.

Diane s'éloigna sur ces dures paroles et Charlotte resta pétrifiée. Elle ressassait encore quand elle reçut un appel du secrétariat pour l'informer que les résultats étaient prêts.

- Mademoiselle Armand. Nous attendons toujours les examens sanguins, mais je pense à un souci avec la pose de votre stérilet. Vous l'avez changé récemment c'est ça ?
Elle acquiesça, muette d'angoisse.
- Ok. Vous faites sûrement un rejet ou une allergie. Je sais qu'il y a des problèmes avec cette nouvelle génération de produits. Avec votre accord, je l'ai retiré pendant votre consultation plus tôt dans la journée. Nous allons faire des analyses et laisser passer trois semaines pour envisager la pose d'un autre, le temps de vous remettre. Si les saignements et les vertiges continuent d'ici cinq jours, revenez me voir.
- Et pour le reste ? s'enquit-elle.
- Je n'ai rien noté à l'examen clinique ni sur les clichés au niveau des ovaires ou de l'utérus. Le docteur marqua une pause pour regarder Charlotte dans les yeux.
- Toutefois, l'échographie semble mettre en évidence une masse suspecte sur la paroi abdominale. En temps normal, sur un sujet jeune comme vous, je préconiserais une surveillance d'ici à six mois. Mais dans votre cas, je voudrais vous proposer une biopsie...

La nouvelle lui tomba dessus, telle une brique. Charlotte avait beau s'y être préparée, elle resta sans réaction, un peu groggy. Elle se sentait flotter, comme dans une nébuleuse, persuadée que ce qu'elle venait d'entendre n'était pas réel. Ce n'était pas elle, dans cette pièce. C'était une autre personne qui se trouvait devant le docteur, à encaisser ces mots. C'était la deuxième fois qu'elle vivait ça et le choc était toujours aussi cruel. Voire pire, car elle savait comment ça allait se passer. La biopsie, les agrafes, la cicatrice. Son corps allait être de nouveau marqué par le sceau de la maladie. Mon Dieu, elle n'allait pas y arriver.

Know Your Worth [En ré-écriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant