Chapitre 17 - Partie 1

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Charlotte

L'après-midi passa très rapidement et Charlotte se concentra sur le temps passé avec ses enfants. En d'autres circonstances elle aurait rangé et nettoyé, soucieuse de présenter une maison propre à Lucas, mais elle n'en avait cure aujourd'hui. Son opinion sur la tenue de son foyer était le dernier de ses soucis et elle voulait passer du temps avec ses petits. Ceux-ci s'étaient montrés bavards. Camille n'était pas en reste pour accaparer Lucas. À coup de dessins de maison, de devinettes de lecture, on sentait bien qu'elle voulait l'impressionner. Même Hugo avait sorti ses personnages de Spiderman pour Lucas, dont les yeux brillèrent particulièrement. Mais sa joie de les voir se rapprocher fut ternie par la sournoise angoisse qu'il puisse se servir de son fils pour compenser ce qu'il n'avait pas vécu avec Ethan.
Substitut.
Charlotte ne savait toujours pas comment elle ne se sentait ni comment se comporter à la lumière du passé de Lucas. Elle avait toujours été rationnelle et ses réactions réfléchies. Elle prenait du recul pour voir les situations sous différents angles, pensant que c'était une qualité chez elle mais ses amies lui reprochaient ce trait de caractère, surtout envers Tom, pour qui elle avait « trouvé des excuses à son comportement de merde face à la maladie ». Elles ne comprenaient pas que les pulsions et réactions sous le coup de la colère provoquaient souvent des dégâts irréversibles.

L'attitude de son père en était la preuve et ses paroles blessantes résonnaient encore fort en Charlotte. Elle avait appris à paraître toujours calme, sage et posée en surface, même si ça grondait fort en elle. Cette eau agitée et tourbillonnante qu'elle gardait emprisonnée au fond d'elle. Excepté son coup d'éclat en bas de l'immeuble de Lucas quand elle avait « rencontré » Bianca pour la première fois. Son être intérieur agité et blessé par l'infidélité de Tom s'était rebellé à la vue d'une situation similaire et avait pris le dessus sur sa raison.

Substitut.

Elle se remémora les paroles de Bianca lors de l'anniversaire de Lucas et ce mot la frappa de nouveau durement. Elle mit de côté ces idées négatives, produits d'une tentative fielleuse et désespérée de la séparer de Lucas. Elle se pencherait dessus plus tard, tout de suite elle profitait de ses amours. Alors elle compartimenta ses émotions et reprit le contrôle, fière de sa réaction posée et calme. Le fils de Lucas fils était donc décédé. Même s'il était mort in-utero, c'était un bébé. Aucun parent ne devrait pleurer son enfant. C'était la pire des douleurs.
Charlotte avait failli perdre Hugo à la naissance - un problème de cordon - ce qui lui avait valu une césarienne en urgence sous anesthésie générale. Quand elle s'était réveillée, seule, le ventre vide, elle avait cru mourir de chagrin. Et si finalement Hugo allait bien, cet événement l'avait plongé dans une détresse dont elle avait mis quelques semaines à sortir. Elle pouvait entrevoir la douleur qu'une telle perte pouvait infliger. Son cœur pleurait pour ce bébé. Pour Lucas. Et même pour Kristen. Elle n'osait pas imaginer ce qu'ils avaient dû endurer, seuls, chacun de leur côté, au lieu de se soutenir. Lucas était sous pression et leur relation récente. Charlotte ne voulait pas se mêler de cette histoire, ni l'influencer. Cette épreuve arrivait pile quand elle devait partir en Espagne. Ce qui n'était pas plus mal au final, lui permettant de faire le tri dans ses sentiments. Elle pensait à tout ça en câlinant les cheveux de Lucas, qui s'était endormi la tête sur ses genoux juste après le déjeuner, assise à côté de Camille regardait Raiponce en chantonnant "moi j'ai un rêve" tout en dessinant pendant que son frère faisait la sieste.

Son téléphone vibra. C'était Tom, l'informant arriver dans trente minutes récupérer les enfants. Le bruit éveilla Lucas. Ses traits étaient toujours tirés et ses yeux cernés mais son tendre sourire avait refait son apparition. .
— Désolé de m'être endormi au lieu de profiter de toi avant ton départ.
— Tu as des circonstances atténuantes, chéri.
Elle pinça les lèvres. Le surnom lui avait échappé et il la regarda avec un tendre sourire.
— J'adore quand tu m'appelles comme ça. C'était qui ?
— Tom. Il vient chercher les enfants...

Lucas se leva et se mit à faire les cent pas. Il s'arrêta pour observer le salon, les doudous qui traînaient, un sac à dos à l'effigie des Pokémons au pied d'une chaise. Il leva les yeux vers les portraits des enfants et en particulier sur un pêle mêle représentant les enfants à différents âges.— Je pourrai voir la chambre d'Hugo ?
— Oui mais sois discret. Je dois le réveiller de sa sieste et monsieur est grognon au réveil.

Lucas la suivit et resta sur le palier de la chambre du petit garçon. Son fils dormait dans son lit cabane, enroulé dans des draps de dinosaures et des montagnes de peluche. Une petite veilleuse en forme de panda servait à éloigner les monstres. Une chambre de petit garçon.

— J'aurais voulu une chambre comme celle-ci pour Ethan, murmura-t-il.
Son cœur se fendit pour ce papa en manque de son enfant.
— Cette chambre est surtout aux goûts d'Hugo. Ethan aurait eu peut-être des envies différentes...
— Je n'ai jamais parlé d'Ethan à qui que ce soit, depuis l'accident.
— Et tu as envie de parler de lui ?
— Je ne sais pas... Je ne sais pas si j'en ai seulement envie.
— Tu sais ça peut te faire du bien de...
— Je ne sais pas, je n'ai pas trop envie d'en parler, soupira-t-il, le regard triste.

Après une multitude de câlins, de bisous et de recommandations, Charlotte laissa ses enfants repartir avec Tom, le cœur lourd. A peine la porte fermée, Lucas lui prit la main et pianota sur son téléphone pour mettre de la musique. Quand « Stick me in my heart » de Archive résonna, il l'enlaça et commença à danser. Elle glissa ses bras autour de son cou et le serra fort contre elle. Les paroles de la chanson avaient une signification particulière ce soir, la veille de se quitter pour dix jours. Lucas lui chantonna à l'oreille, d'une voix grave et enrouée, son besoin de coller son coeur au sien. Sa voix chaude l'enveloppait. Elle ne savait pas s'ils se disaient au revoir ou adieu. Leur situation était dans un équilibre fragile. Charlotte s'était montrée douce et compréhensive mais elle était blessée et avait besoin de sécurité. De son côté, Lucas avait besoin de calmer et gérer le chaos que Kristen avait remué. Ils s'aimaient mais se elle demandait si ce serait suffisant.
Elle avait envie de lui donner assez d'amour pour qu'il se sente soutenu et aimé pendant leur séparation alors qu'il traversait une période difficile. Elle avait besoin d'amour et d'être rassurée à propos du retour de Kristen. Attendait-elle autre chose de cet acte de contrition ?

Elle prit la décision la plus facile, tant pis pour les conséquences. Elle laissa son départ imminent et sa tristesse de côté pour cette fin de soirée. Une parenthèse de quelques heures.
— Je t'aime, Lucas. Mais je me sens perdue et j'ai peur. Aide-moi à tenir ces dix jours sans toi.

Elle lui prit la main et l'entraîna dans sa chambre. Comme pour la première fois avortée, elle brancha la guirlande dans le couloir, celle qu'elle laissait allumée pour les enfants la nuit. Sa chambre était plongée dans l'obscurité, à peine éclairée par le couloir. Elle se retourna et se mit sur la pointe des pieds pour lui chuchoter à l'oreille :
— Je veux ne rien porter. Sentir ta peau sur moi.
 — Tout ce que tu veux, mon cœur. Dis-moi ce que tu veux.
— Je veux que tu te déshabilles et que tu t'allonges sur le lit. Il s'exécuta avec hâte et s'allongea en croisant ses mains derrière sa tête. Le Lucas fragile et déstabilisé avait laissé place à un homme plus affirmé et confiant. Il était redevenu magnétique. Tout à elle.

Une fois rassasiés de plaisir et le coeur apaisé pour quelques instants, Lucas laissait traîner la pulpe de ses doigts le long de son dos de Charlotte, la faisant frissonner.
 — Tu as froid ? s'inquiéta-t-il immédiatement.
 — Hmmm...marmonna-t-elle, incapable de dire quoique ce soit. Elle posa sa joue contre son cœur quand il attrapa un bout de drap avec ses orteils pour le remonter vers ses doigts et les couvrir.
 — C'est parfait comme ça, Lucas...Je ne suis pas trop lourde ?
— Non. Reste comme ça, j'aime sentir ton corps sur le mien. Je voudrais te garder comme ça. Je suis heureux de te sentir toute entière. J'espère que tu te sentiras assez en confiance pour le refaire. J'aime quand tu me revendiques comme ça, se pavana-t-il.
— Arrête de faire ton Tarzan, pouffa-t-elle.
— Moi Tarzan. Toi Femme. Moi faire amour toi. Toi femme de Tarzan. 

Elle gloussa et l'embrassa pour s'empêcher de le questionner sur la signification de ses derniers mots. Ils passèrent le reste de la nuit à faire l'amour et à apaiser leurs angoisses respectives et surtout tous ces non-dits...

Know Your Worth [En ré-écriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant