Chapitre 1

18 3 0
                                    




La photographie de son père ornait tous les journaux de la ville. Elle s'empara d'un exemplaire du Philadelphia Inquirer, il sous-titrait l'image d'un racoleur "le Boyard de la Moskowa arrêté hier soir à son domicile". Emily reconnaissait l'endroit et le lieu où elle avait été prise. Ilya Bolkanski avait porté ce costume léger et italien à l'occasion de la garden party du maire de Philadelphie le lendemain de sa victoire électorale l'année dernière, en 1929. Elle paya un exemplaire la mine résolument placide tandis que son chauffeur lui ouvrait la portière.

Une fois installée sur la banquette arrière dans la chaleur accueillante du véhicule, elle parcourut rapidement l'article. Seuls ses doigts crispés sur les pages pouvaient trahir son émotion mais Maksim Rostov n'était pas embauché pour faire des commentaires. Le garde du corps de son frère se contenta de traverser les rues enneigées de la ville qu'un soleil timide et hivernal venait faire scintiller.

L'article du reste ne lui apprit rien qu'elle ne savait déjà, au contraire il se permettait d'extrapoler sur la perquisition au domicile familiale racontant avec emphase les pleurs de Mme Bolkanski tout autant que les visages décomposés de ses trois enfants lorsqu'il avait été conduit au commissariat. Il n'était pas rare qu'un parrain de la mafia soit interrogé, mais la police avait été là particulièrement certaine des preuves avancées. Si certaine qu'elle s'était permise une descente au moment du dîner de famille sans la moindre décence ni respect. Emily referma soigneusement le journal, le pliant pour le glisser sous son épaule. La voiture ralentit devant l'immeuble de brique qu'elle avait pensé avoir quitté pour de bons des années auparavant.

Elle sortit du véhicule, traversa le trottoir encore blanc dans le matin et grimpa la volée de marches avant de se glisser dans la cage d'escalier.

Au troisième étage, elle retrouva le pallier de leur appartement, le premier qu'ils avaient pu s'acheter après des années de misère et de disette dans le quartier du port. Ils avaient depuis longtemps emménagé dans un autre quartier plus luxueux et raffiné mais les événements de la veille et les journalistes en bas de leur maison les avaient persuadé de revenir à celui-ci discrètement dans la nuit. Ils avaient depuis longtemps acheté tout le bâtiment, ils ne risquaient pas de recevoir la visite inopportune et indiscrète de quelques voisins.

Elle retira son manteau en velours bleu nuit et ouvrit en grand les rideaux pour laisser la lumière découvrir le tapis persan du salon. Une silhouette, lovée dans une couverture sur le sofa, poussa un grognement mécontent, Emily l'ignora et s'empara du verre et de la bouteille de vodka à moitié entamée. Posant le premier dans l'évier et le second dans le bar.

"Quelle heure il est ?"

La figure froissée de son frère apparut dans la cuisine tandis qu'elle tassait le café dans la cafetière italienne et allumait le gaz. Ce genre de commodité moderne leur avait coûté le prix fort mais c'était un confort inestimable. Surtout quand depuis la crise de 1929 un tiers des Américains vivaient dans une misère noire, jetés hors de chez eux par des banquiers en déroute cherchant à récupérer leur capital.

"Il est sept heures."

Nikolaï dans sa chemise froissée s'effondra sur la première chaise venue en se frottant le visage. Il fouillant machinalement dans ses poches pour en sortir un paquet de cigarettes, fit craquer l'allumette avant de prendre une profonde bouffée de tabac. Avachi en arrière sur le dossier, ses yeux bleus se perdaient dans les moulures du plafond.

"Kouragine a dit qu'il avait sa propre cellule, fit-il en porta ses lèvres à la boisson brûlante.

- Il a intérêt, on le paye assez pour, répliqua-t-elle avant de désigner le journal sur la table, les nouvelles ne nous sont clairement pas favorables. Je doute que le maire puisse intervenir sans écorner sa réputation virginale. Il doit déjà être en train de préparer un communiqué sur son ignorance.

Sailing to PhiladelphiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant