"Yuliana semblait de particulièrement bonne humeur, commenta le père Basile. Je ne l'avais jamais entendu chantonner comme ça."
La plita avait été la plus ravie du clan du départ d'Harold, en plus elle s'enorgueillissait d'être maintenant celle qui produisait la meilleure cocaïne de la ville. Elle endossait avec un plaisir non dissimulé le mérite de Spok. Elle avait même eu une remarque goulue et salée sur le fait qu'Emily n'avait pas ramené de disque pour le gramophone aujourd'hui en l'absence de son partenaire de laboratoire. Emily s'était demandée pourquoi ils la gardaient maintenant qu'ils avaient une recette écrite. Le premier chimiste venu ferait l'affaire et elle aurait enfin été débarrassée de cette encombrante alliée.
"Tenez, il n'y a plus qu'à signer."
Emily s'empara du crayon et relut consciencieusement le reçu pour l'œuvre de charité de l'église, couverture sous laquelle ils faisaient entrer et sortir la drogue de Saint Andrew. Tout était parfaitement en ordre, le père Basile était un homme honnête qui considérait que louer son église aux Bolkanski permettait de faire vivre bien plus efficacement sa paroisse et d'aider avec plus de moyens les plus démunis. Elle signa, se releva pour rendre les papiers à son interlocuteur lorsque la porte s'ouvrit brusquement.
"Ah Emi ! Tu vois je t'avais dit qu'elle serait là !"
Le stylo et le reçu tombèrent par terre.
"Lena ! Ha... Monsieur Brontey !"
En trois pas la danseuse fut sur elle, elle commençait à parler à toute vitesse avant que son attention ne tombe sur le père Basile dans son aube blanche.
"Ah ! Bonjour mon père !
- Bonjour mon enfant, vous venez pour la confession ?
- La confession ? Eh bien euh... oui tout à fait, tout à fait, j'ai tout confessé directement avec le seigneur, vous savez, je voulais pas que vous vous dérangiez.
- Oh eh bien ce n'est pas très conventionnel mais tant que vous êtes sincère...
- Mon père, coupa Emily, pourriez-vous nous laisser ?"
Le père Basile s'éclipsa respectueusement, et ramassa au passage les effets tombés au sol pour les laisser seul dans la petite sacristie. Emily, la surprise passée, se composait un visage impassible au regard de la présence inattendue et inespérée d'Harold. Il lissait machinalement un pan de sa veste et essayait de remettre un peu d'ordre dans ses cheveux. Elle tentait de contrôler les battements frénétiques de son cœur soudainement revenu à la vie. Lena les dévisagea et sembla perdre patience, elle rougit un peu et demanda alors :
"Que se passe-t-il ?"
Lena se tourna alors vers Harold. Il semblait au supplice. Elle poussa un soupir.
"Il est dans les ennuis jusqu'au cou."
Il avait en effet l'air de quelqu'un dans une situation intenable, gêné au possible avec cet air désespéré sur le visage qui lui troua la poitrine.
"Dites moi tout, proposa-t-elle doucement."
Elle s'assit sur la petite chaise et écouta avec attention ce qu'Harold racontait tantôt écarlate de gêne et de confusion, puis abattu comme si le poids du monde s'était effondré sur ses épaules et qu'il contemplait son univers brisé entre ses doigts. Lena appuyait le récit d'une série de hochements de menton d'encouragement et d'assentiment. Emily restait consternée par ce qu'elle entendait. Alors que tous les problèmes d'Harold s'étaient évaporés sous la forme d'un chèque signé de sa main, il était dans une situation pire encore que la précédente. Sa petite amie allait le jeter sous un train tant parce qu'il l'avait trahi que parce qu'ils avaient rompu. Et tout ce qu'il avait joué pour espérer un jour faire carrière dans l'astrophysique et passer le restant de sa vie à étudier des étoiles... tout ça allait disparaître pour une erreur funeste et maladroite. Tout ce sur quoi elle avait elle-même parié en lui donnant ce chèque contre l'avis de son frère et de son père avait été balayé. Il était hors de question que ça arrive.
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Sailing to Philadelphia
Romance1930, alors que la Prohibition bat son plein, Philadelphie voit le Boyard à la tête de la Moskowa être arrêté. Ses aînés, Nikolaï et Emily, sont maintenant seuls maîtres à bord et comptent bien asseoir leur autorité contre les opportunistes. De l'au...