Chapitre 22

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Le jour qui succéda à la soirée au El Paso fut banal et pareil à tous les précédents, comme s'il ne s'agissait que d'un songe, et pourtant ce fut vers ce souvenir évaporé que l'esprit voguait alors que, le surlendemain matin, un bout de viennoiserie à la bouche et la hanche contre le plan de travail de la cuisine, Lena observait le ciel qui pâlissait par la fenêtre. Le spectre d'un sourire réhaussait une pommette et il ne passa pas inaperçu chez Cirillo, un tablier noué autour de sa taille, qui enfournait près d'elle une nouvelle série de boules de pâtes à cookies mouchetées de chocolat qui ne demandait qu'à dorer et fondre.

"Aurais-tu de bonnes nouvelles à m'annoncer, mi vida ?! s'exalta-t-il aussitôt.

-Oh, papito, et si tu me laissais faire ? répliqua-t-elle en quittant sa position de rêverie pour aller se servir un verre du lait frais que son père recevait chaque lundi. Pas encore, d'accord ? Mais ça ne saurait tarder..."

Les yeux noirs de son paternel s'ouvrirent comme des soucoupes et il s'essuya vigoureusement les mains enfarinées contre son tablier en contournant expressément la table centrale pour la poursuivre de questions :

"Il a accepté ? Que veut-il ?! S'il a des termes et des conditions, on peut toujours discuter !"

Des coups de klaxons retentirent, n'éveillant qu'un très fugace intérêt chez les deux Gonzalez, et Lena ne put que boire une gorgée de son lait avant de devoir se retourner vers son père pour apaiser ses ardeurs :

"Calmate, papito, je ne peux pas le harasser de questions ennuyantes sur le boulot, si ? Tu sais comme il est du genre anguille, toujours à s'enfuir quand ça devient sérieux..."

Son raisonnement ne servait qu'à réfréner l'emballement furieux de Cirillo, mais Lena ne put empêcher son cerveau et sa tête d'agir ensemble dans la traîtrise de s'interroger sur les schémas amoureux de Nikolaï. Était-il également une anguille en matière d'amour ?

Des coups de klaxons plus longs et tonitruants percèrent les murs et Lena jeta un coup d'œil vers la porte d'entrée, commençant à penser que ces appels étaient délibérés et leur étaient dédiés. Logeant le dernier bout de sa viennoiserie dans la bouche, elle traversa le couloir pour aller jeter un coup d'œil à la fenêtre qui perçait la porte.

"C'est toi qui as raison, ma fille, évidemment ! assura gaiement Cirillo en la pourchassant. Il faut ferrer le poisson avant de l'écailler !"

Stationnée devant la maison, une voiture verte gazon particulièrement tape à l'œil n'attendait qu'à être vue et la tête passée par la portière, son frère Damian, un grand sourire aux lèvres, lui fit signe de venir le rejoindre avant de klaxonner de plus belle. Lena lui sourit, ravie, par la petite fenêtre avant de retourner en courant jusqu'à la cuisine pour finir son verre de lait d'un trait. Un peu essoufflé à force d'excitation et de suivre les allées-venues de sa benjamine, Cirillo ne perdait toutefois ni son sourire, ni sa bonne humeur.

"C'est ton frère ? dit-il.

-Oui, je file."

Elle attrapa le visage de son père pour lui embrasser vivement la joue et elle bondit hors de la cuisine sur un :

"Te quiero, papito, à ce soir !

-A ce soir, mi corazon !"

Saisissant au vol sa sacoche qu'elle avait laissée contre un mur du couloir, elle trottina jusqu'à la porte qu'elle referma derrière elle pour ensuite dévaler les marches du perron. L'accueillant comme il se devait, son frère klaxonna de nouveau et ce fut sur ce carillonnement qu'elle vint s'asseoir joyeusement dans la voiture verte. Damian n'attendit pas une seconde pour démarrer sur les chapeaux de roues avec un petit excès qu'il savait toujours efficace pour amuser sa petite soeur et ce fut ainsi qu'elle s'écria dans un rire :

Sailing to PhiladelphiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant