"Je veux que tu partes, Lena.
-Damian, sérieux, c'est ni l'endroit, ni le moment pour parler de ça.
-Si tu restes avec lui, j'vais le buter.
-Arrête de dire ça !"
Damian ne renchérit pas mais son regard inébranlable et déterminé, du même vert mélèze que leur défunte mère, était plus glaçant que toutes les promesses d'assassinats qu'il aurait pu prononcer et de nervosité, Lena rebondit sur ses talons. Damian avait toujours été un voyou, avait trempé dans toutes les magouilles d'Allan et avait fini plus d'une fois au poste après des bagarres, mais il n'avait jamais été de ceux qui avaient la gâchette facile ou qui sortaient une lame pour régler une querelle. Il n'était pas un meurtrier. Cependant, leurs vies avaient entamé un virage radical durant ces derniers jours infernaux et ça avait tout changé.
Ils se trouvaient en ce moment même à l'entrée du petit cimetière jouxtant l'Église Catholique de Saint Vincent de Paul, là où le corps d'Allan venait d'être mis en terre. Lena peinait à réaliser qu'elle ne reverrait plus jamais son ami d'enfance et pourtant, ayant vécu l'horreur de son meurtre, elle devrait être en mesure d'accepter cette réalité. Aussi cauchemardesque qu'avait été le moment, il avait été très court et fugace également. Lena n'avait jamais pu approcher Allan, comme elle aurait aimé le faire, le prendre dans ses bras, chercher son pouls. Des âmes chanceuses survivaient après tout à une balle dans la tête. Mais alors qu'elle entrait dans une phase d'hystérie, qu'elle criait et pleurait, se ruait vers sa famille ligotée, elle avait été soulevée du sol et jetée dans une voiture. Après ça, elle avait été enfermée dans une chambre d'hôtel et conduite au cabaret le lendemain pour assurer son service.
Allan avait été trouvé dans la nuit, bien évidemment, et la police avait très rapidement classé l'affaire comme une exécution intra-gang. Aucune enquête, ni appel à témoin n'avait été entrepris. C'était comme si rien ne s'était passé, rien de grave ou de notable, en tout cas. Ce n'était pas le premier corps qu'on trouvait, tué d'une balle dans le crâne, dans un endroit sombre de Germantown.
Ce ne fut que le lendemain soir que Lena put enfin courir jusqu'à chez elle et s'assurer que son père et son frère n'avaient pas connu un sort identique. Byrne l'avait surveillée, hantée de son regard impassible toute la journée, et si elle avait été capable de danser, ça avait été au prix d'un effort immense, connaissant que trop bien les conséquences qu'elle encourait désormais si elle désobéissait.
"Il attend la première occasion pour te tuer, Dams, lui rappela-t-elle avec fébrilité.
-Comme quoi on peut être d'accord, lui et moi. Moi aussi, j'attends la première occase pour le tuer.
-Damian, s'il-te-plait ! s'écria-t-elle en lui frappant rageusement la poitrine. J'ai besoin de toi !
-Au contraire, Lena ! Ce salopard nous utilise contre toi et tu crois que je vais rester sans rien faire pendant qu'il se sert de moi pour faire Dieu-seul-sait-quoi à ma petite soeur ?!
-OUI ! C'est ce que je te demande, Damian, je peux pas te perdre à ton tour, tu comprends ce que je dis ?"
Parfaitement insensible à ce type de raisonnement, Damian se contenta de lever sa cigarette à sa bouche tout en s'adossant plus lourdement au tronc du sapin rachitique derrière lui. Refusant d'accéder à sa requête, il secoua silencieusement le menton vers Lena qui l'implorait d'un regard démunie et elle aurait fondu en larmes si elle en avait encore l'énergie. Tout était sans espoir, désormais.
Elle s'aperçut que quelqu'un approchait et elle se détourna avec difficulté de la vue de son frère pour reconnaître avec douleur John Lennox, le père d'Allan. Après avoir consulté rapidement Damian qui n'avait manifestement aucune envie de parler avec le père de leur ami disparu, Lena s'éloigna seule du sapin pour aller à la rencontre de John. Aucune émotion véritable n'était visible sur son visage, si ce n'était une profonde fatigue. Ils ne parlèrent pas tout de suite, le poids de tous les non-dits alourdissant leurs épaules depuis la découverte du corps d'Allan dans le tunnel en début de semaine, mais John finit par entamer le silence :
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Sailing to Philadelphia
Romance1930, alors que la Prohibition bat son plein, Philadelphie voit le Boyard à la tête de la Moskowa être arrêté. Ses aînés, Nikolaï et Emily, sont maintenant seuls maîtres à bord et comptent bien asseoir leur autorité contre les opportunistes. De l'au...