Chapitre 32

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"Au restaurant ?

-Eh ben, oui, ne nous étions-nous pas mis d'accord que je devais te rembourser avec des restaus pour mes gains sur le Morozko ?"

Appuyée contre le chambranle de sa porte d'entrée, une main dans la poche et l'ombre d'un sourire se jouant sur les lèvres, Lena observait la lumière de son porche qui éclaircissait le gris malicieux de Nikolaï. Tel le prince des temps modernes qu'il était bien trop content d'être, il semblait sacrément fier de lui et Lena se demandait si cette vanité tenait au choix du restaurant ou bien, au simple fait qu'il avait su saisir la perche qui lui avait été tendue. Elle ne voyait pas la silhouette de Maksim se dessiner à travers les vitres de la Cadillac, sagement stationnée plus bas, et ce détail lui fit arquer un sourcil. Serait-ce un véritable rencard dans les règles de l'art ? La nuit au Morozko qui avait commencé sur la sombre morosité de Nikolaï et s'était poursuivi, avant qu'elle ne rectifie le tir, au fond d'une bouteille de vodka ne comptait pas.

"Hmhm, c'est vrai, admit-elle, mais je ne pensais pas que tu allais tenir parole.

-Tu imagines toujours le pire de moi ! s'offensa-t-il avec théâtralité. Tu devrais savoir que Nikolaï Bolkanski n'a qu'une parole."

Bien que n'en croyant pas un mot, elle ne fit aucun commentaire et se contenta d'un petit rire. Elle se détacha plutôt du cadre de la porte et pointa un index de mise en garde sur lui :

"Si je mets une robe, tu n'as plutôt pas intérêt à m'emmener n'importe où.

-Tu vois, tu es encore en train de t'imaginer -Eh !"

Elle pouffa à son indignation perçant à travers le bois de la porte qu'elle lui avait fermé au nez et alors qu'il s'offusquait qu'elle ne le fasse pas entrer pour patienter à l'intérieur, elle s'enfonça dans le couloir en direction des escaliers. La tête de Cirillo émergea avec un regard extatique de la porte du salon et il lui chuchota furieusement :

"C'est lui ?!

-Interdiction de lui ouvrir la porte, papito !

-Oh ça, tu n'apprendras pas une grimace à un vieux singe ! assura-t-il. Tant que y'a pas de proposition de mariage, ce garçon ne passe pas le pas de ma porte."

Nourrissant aussi peu de confiance en la parole de son père qu'elle en avait en celle de Nikolaï, elle secoua la tête avec dérision en se lançant au trot dans l'ascension des escaliers jusqu'à sa chambre. Fort heureusement, le cabaret lui avait enseigné l'art de se préparer en moins de temps qu'il en fallait pour d'autres à se lasser les chaussures.

Bien sûr, elle ne se presserait pas trop non plus... ça ne ferait pas de mal à un certain blond de poireauter un peu.

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"Non mais t'imagines même pas, mon père est un fou, certifia Lena, absolument rien sur cette terre peut l'arrêter. Enfin, peut-être ses prêts à la banque.

-Ah, donc tu veux dire qu'il m'aurait tué si j'avais eu le malheur d'entrer ?"

Réfrénant difficilement un sourire, Lena poursuivit la fastidieuse tâche d'enrouler correctement les spaghettis autour de sa fourchette. Ils étaient désormais attablés depuis un petit moment au restaurant et la soirée se déroulait à merveille. Tout était parfait. L'éclairage tamisé, leur table qui se trouvait dans un coin isolé de la salle et la mélodie douce et grave que jouait un contrebassiste. Ce n'était pas un restaurant hors de prix, même si le tout-venant ne pouvait pas aisément se permettre sa carte, et sa relative simplicité convenait bien mieux à Lena que ces restaurants luxueux dont les serveurs alignaient près d'une dizaine de couverts autour des assiettes et lui provoquaient ainsi une migraine.

Sailing to PhiladelphiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant