Andrea Sforza était né à Philadelphie même s'il se targuait d'être un Italien pure souche. Il racontait avoir grandi en Sicile jusqu'à la mort de ses parents, et était parti sans un sous en poche. Une histoire romanesque qui n'avait pour but que de se tisser un héritage digne d'intérêt et d'autorité. En réalité, ses parents étaient nés aux Etats-Unis et ils tenaient une petite épicerie à New York. Des démêlés avec la police locale lui avaient fait prendre la tangente pour Philly à l'adolescence. Toutes ces informations permettaient de dresser un portrait précis de l'homme en cavale, elles lui donnaient l'impression d'avancer et d'être active. Elle ne pouvait pas rester sans rien faire, à attendre que le traître se décide à venir enfoncer une balle entre les deux yeux de Pétia.
Elle ne laisserait personne s'en prendre à ses frères, elle fouillerait chaque ruelle de la ville pour trouver l'Italien, elle n'hésiterait pas à lui faire cracher par la force le nom de celui qui avait fait emprisonner son père. Il devait parler, il fallait éradiquer cette menace. Le traître était toujours là, il jouissait de l'anonymat et de la liberté. Même amputé de son allié, il avait encore le pouvoir de leur nuire. Il pouvait encore atteindre Pétia.
Elle ne pouvait pas se leurrer néanmoins, elle n'était pas plus avancée que ça. Elle avait envoyé Boris faire un tour à New-York, acheter des pâtes et du tiramisu dans l'épicerie parentale. Elle doutait fort que Sforza qui ne parlait plus à ses parents selon Kouraguine, se soit senti soudain poussé un instinct filiale. Il avait disparu, et les indics à Philly n'arrivaient pas à remettre la main dessus.
"Tout est conforme, Ilinitchna ?
- C'est très bien Vera, reconnut-elle."
Elle signa le bon de commande que la secrétaire lui avait sorti. L'effervescence de l'entrepôt où arrivaient les pommes de terre se heurtait aux vitres de la petite loge dans un bruit étouffé. Les ouvriers et dockers allaient et venaient dans une agitation constante, et rassurante. Les affaires tournaient bien. Elle aurait pu se laisser bercer par cette satisfaction mais non. Impossible. Elle ne pouvait pas oublier que l'un des leurs voulait leur mort. Son père n'oubliait jamais rien, ça avait la clé de son succès et de sa survie.
"Bonjour Vera !
- Oh, Monsieur Anikin ! Vous êtes de retour ? Monsieur Weston n'est pas disponible je le crains.
- Ce n'est rien, je suis venu trouver Miss Bolkanski."
Anton était planté dans l'encadrement de la porte, un bouquet de fleurs roses entre les mains. Vera eut un regard curieux pour Emily tout en rangeant silencieusement les dossiers. Celle-ci replaça placidement son stylo avant de saluer la secrétaire. Galamment, Anton lui proposa son bras pour l'accompagner jusqu'à la sortie. Elle refusa poliment.
Cela ne l'empêcha pas de lui tendre le bouquet dont elle s'empara sans savoir trop quoi en faire. Elles sentaient agréablement bon. Elle se tourna vers Vera et le lui tendit.
"Tenez, elles iront très bien sur votre bureau."
La secrétaire était un peu surprise mais assez ravie de pouvoir égayer sa petite loge de jolies fleurs. Anton eut un petit tic au coin de la lèvre. Il retrouva son air détendu et bien élevé dès qu'ils furent sortis de l'entrepôt. Emily repéra la Rolls, elle n'avait pas le temps de discuter avec Anton mais il était bien difficile de se débarrasser d'un de leur partenaire.
"Je vois bien que je m'y prends mal, veuillez m'excuser."
Elle se tourna vers lui, étonnée par cette remarque. Il était impeccablement habillé, moins exubérant que son frère mais le tissu était de qualité et la coupe à la dernière mode. Pas une mèche de cheveux ne dépassait de son chapeau.
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Sailing to Philadelphia
Romance1930, alors que la Prohibition bat son plein, Philadelphie voit le Boyard à la tête de la Moskowa être arrêté. Ses aînés, Nikolaï et Emily, sont maintenant seuls maîtres à bord et comptent bien asseoir leur autorité contre les opportunistes. De l'au...